Ne laissez personne penser à votre place
Le rôle de l’individu y est absolument nul. Sa conscience y est tenue pour zéro, exactement comme son libre arbitre. S’il est cent mille ou cent millions, cela représente, en matière de pensée, cent mille ou cent millions de zéros. Qu’un seul penseur s’y agglomère et imprime sa pensée à lui dans ce vide, aussitôt les milliers ou les millions de zéros s’y ajoutent et constituent un nombre à la suite de l’unité. Cela peut avoir lieu dans le mal comme dans le bien. En fait, c’est principalement dans le mal qu’opèrent les conducteurs de pensées. L’histoire ancienne et contemporaine en fournit de nombreux exemples dont certains sont encore sous nos yeux.
Pensée individuelle et pensée collective
Dans la société moderne, plus qu’à toute autre époque de l’humanité, les cerveaux sont embrigadés au service d’idées collectives. Les hommes de ce temps sont tous des partisans, à un degré quelconque. Or la notion d’appartenance est exclusive de la liberté de penser. Tout parti comporte une petite tête et un grand corps. La tête pense, si elle peut, et le corps obéit à la pensée de la tête. Cela semble si commode à l’homme du commun que tout le monde s’en remet à des conducteurs du soin de penser.
Les rares individus qui échappent à l’esprit de parti n’évitent pas la radio, la télévision et la presse qui leur façonnent, du matin au soir, des idées standardisées et une pensée omnibus.
Trop de gens aujourd’hui, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Monde, n’ont d’autre opinion que celle de leur journal. Et cela est d’autant plus niais que les journalistes n’ont pas d’opinion plus arrêtée que leurs lecteurs et se bornent à reproduire des avis qui leur sont dictés et à écrire en vertu d’une consigne. Mais les directions des journaux ne sont pas davantage capables de penser ; elles sont inféodées à un parti, à une coalition d’intérêts commerciaux ou religieux auxquels elles obéissent. Ces collectivités elles-mêmes ne jouissent d’aucun libre arbitre; elles sont dans les mains d’une ou de plusieurs personnalités, elles-mêmes à la merci d’influences qu’on ne connaît pas (publicité entre autres). On le voit, si l’on remonte à l’origine des opinions, bien peu sont le fait d’hommes qui pensent originalement et par conséquent sont capables de gouverner leur vie et d’entraîner des fractions d’humanité.
L’individu le plus humble, dans la condition la plus modeste, peut isoler son libre arbitre et avoir sa pensée à lui. S’il a sa pensée à lui et s’il lui donne une impulsion continue, il peut se rénover lui-même et rénover des foules autour de lui.
Car chaque pensée est un univers avec son comportement et ses lois propres. Si elle est menue ou peu courante, des pensées de même sorte s’agglomèrent autour d’elle et son sillage devient de plus en plus profond. Aussi loin qu’elle voyage – et elle fait en un temps record plusieurs fois le tour du monde des consciences elle demeure étroitement reliée à l’esprit qui l’a conçue en premier. C’est donc l’émetteur de la pensée originale qui bénéficie de toutes les conquêtes de sa pensée, sous quelque forme que celle-ci se présente et que ce soit dans le domaine de la religion, de la philosophie, de la science ou de l’art.
Quand vous écoutez la Sixième Symphonie de Beethoven, votre âme s’élève à des hauteurs insoupçonnées et toute votre pensée prie avec celle du musicien génial. Mais, en même temps que vous, des milliers d’autres âmes à l’écoute vibrent dans un splendide unisson.
Et l’univers spirituel au milieu duquel votre intelligence se meut n’est-il composé que des seules pensées des hommes organiques ?
Certes non, car le monde invisible pense beaucoup plus intensément que le monde dont nos sens sont témoins. Ceux que nous appelons les morts et qui sont, en réalité, les vivants d’une autre vie, retrouvent une faculté de penser accrue lorsqu’ils n’ont plus leur cerveau de chair. Ce plexus cervical que les hommes positifs considèrent comme l’unique instrument à penser mis à la disposition de l’homme n’est vraiment, qu’un limitatif de la Haute Pensée destinée uniquement à la compréhension des trois plus basses dimensions.
Fort utile pour expliquer celles-ci, non seulement il est impuissant à pénétrer les dimensions supérieures, mais encore il constitue l’obstacle organique à la compréhension des plans élevés.
extrait de : Comment on soulève les montagnes ! Georges BARBARIN
citation : (Rudolf Steiner)
« Le premier pas à faire sur le chemin qui mène à la connaissance suprasensible consiste à passer de la pensée purement passive à une pensée animée et active… Introduire la volonté dans la pensée, voici précisément ce qui ne se réalise aucunement au cours de l’observation quotidienne… Cette nouvelle pensée ne se déroule plus en une suite d’images passivement acceptées ; elle crée activement, et l’on a conscience de posséder une force dont on se sert tout à fait librement, force analogue à celle qu’on emploie pour lever le bras par exemple, et dessiner… En activant sa pensée, on en fait un organisme de toucher psychique, un tact spirituel, on commence à se sentir plongé au sein des réalités de la pensée, on pense comme on marcherait, comme on saisirait les objets, comme on les toucherait… La pensée se transforme alors à un tel point que l’on peut avoir le sentiment d’être entièrement devenu un être pensant ; on est soi-même la force qui pense… »