Ainsi nommé par Gottman « les quatre cavaliers de l’Apocalypse » dans les dialogues conflictuels. Nous sommes en droit de nous poser la question de savoir de quoi s’agit-il ?
Il s’agit de quatre attitudes qui détruisent toutes les relations sur leur passage. Elles activent le cerveau émotionnel de l’autre à un point tel que celui-ci devient incapable de répondre autrement qu’avec méchanceté ou en se retirant comme un animal blessé. Grâce aux quatre cavaliers, nous sommes littéralement certains de ne pas obtenir ce que nous désirons de la relation; pourtant, ce sont eux que nous appelons presque toujours en premier sur le front de nos batailles affectives.
Le premier cavalier est la critique. Critiquer l’autre au lieu de lui présenter simplement une doléance ou une requête.
Exemple de critique : « Tu es encore en retard. Tu ne penses qu’à toi. »
Doléance : « Il est neuf heures. Tu avais dit que tu serais là à huit heures. C’est la deuxième fois cette semaine. Je me sens seule et je m’ennuie quand je t’attends comme ça. »
Critique: « J’en ai assez de ramasser tes affaires. Tu es exaspérant avec ton foutoir! »
Requête : « Quand tu laisses traîner tes affaires dans la cuisine, ça me gêne le matin quand je veux prendre mon café. J’ai besoin d’ordre autour de moi pour me sentir bien. Pourrais-tu faire l’effort de ranger le soir avant de te coucher? «
Gottman donne une recette imparable pour transformer une doléance légitime, qui a toutes les chances d’être entendue, en une critique qui ne déclenchera que du ressentiment, de la mauvaise volonté ou une contre-attaque virulente : il suffit d’ajouter à la fin : « C’est quoi, ton problème? «
Ce que ces observations ont de prodigieusement étonnant, c’est à quel point elles semblent aller de soi! Nous savons tous exactement comment nous n’aimons pas être traités. Il nous est, par contre, plus difficile de préciser comment nous aimerions l’être, alors même que nous sommes instantanément reconnaissants lorsque quelqu’un s’adresse à nous de manière émotionnellement intelligente…
Le deuxième cavalier de Gottman, le plus violent et le plus dangereux pour notre équilibre limbique, c’est le mépris. Le mépris se manifeste bien sûr par des insultes, des plus douces – certains diraient sournoises – comme « votre comportement est inapproprié », aux plus classiques et violentes comme « ma pauvre fille, tu es une idiote », ou « pauvre type « , ou le tout simple mais pas moins redoutable « tu es ridicule ». Le sarcasme aussi peut faire très mal, comme lorsque Fred répond à Ingrid : « Si, étais ma bonne, au moins le ménage serait bien fait. » Le sarcasme peut être drôle au cinéma (et encore), mais il ne l’est pas du tout dans la vie courante …
Les expressions du visage suffisent souvent à communiquer le mépris: les yeux qui roulent vers le haut en réponse à ce que l’on vient de dire, les coins de la bouche qui s’abaissent avec les yeux qui se plissent en réaction à l’autre … Lorsque c’est quelqu’un avec qui l’on vit ou travaille qui vous adresse ces signes, ils vont droit au cœur comme une flèche et rendent toute résolution paisible de la situation pratiquement impossible : comment raisonner ou parler calmement lorsque le message que l’on reçoit est qu’on n’évoque que le dégoût?
Les troisième et quatrième cavaliers sont la contre-attaque et le retrait total. Lorsqu’on est attaqué, les deux solutions aussitôt mises en avant par le cerveau émotionnel sont le combat et la fuite… Or, quel que soit le conflit, le problème de la contre-attaque est qu’elle ne connaît que deux issues: dans le pire des cas, elle mène tout droit à une escalade de la violence: blessé par ma contre-attaque, l’autre renchérit. Cela se passe ainsi au Moyen-Orient, bien sûr, mais aussi dans toutes les cuisines du monde où les couples se déchirent. Le cycle se perpétue jusqu’à ce qu’on ait recours à la séparation physique et permanente des belligérants : la destruction de la relation; que ce soit par un licenciement, un divorce … ou un meurtre. Dans le meilleur des cas, la contre-attaque « réussit » et l’autre est vaincu par notre verve ou – comme les parents se le permettent souvent avec les enfants, et les hommes avec les femmes – par une gifle ! La loi du plus fort a parlé, et le reptile en nous est satisfait. Mais cette victoire laisse forcément le vaincu blessé et meurtri. Et cette blessure ne fait que creuser le gouffre émotionnel et aggraver la difficulté à vivre ensemble. Jamais une contre-attaque violente n’a donné envie à l’autre de fondre en excuses sincères et de vous prendre dans ses bras …
L’autre option, le retrait total, est une spécialité masculine qui a le don d’énerver particulièrement les femmes. Elle préfigure souvent la phase ultime de désintégration d’une relation, que ce soit un mariage ou une collaboration professionnelle. Après des semaines ou des mois de critiques, d’attaques de contre-attaques, l’un des protagonistes finit par quitter le champ de bataille, en tout cas émotionnellement. Alors que l’autre recherche le contact, demande à lui parler, il se renfrogne, regarde ses pieds ou se cache derrière son journal » en attendant que ça passe « . L’autre, exaspéré par cette attitude qui prétend l’ignorer complètement, parle de plus en plus fort et finit même parfois par crier. C’est l’étape de l’assiette qui vole ou, lorsque c’est la femme qui s’est transformée en « mur de briques », des coups qu’elle risque de prendre. La violence physique est une tentative désespérée de renouer le lien avec l’autre, de faire en sorte qu’il entende ce que nous vivons émotionnellement, qu’il sente notre douleur. Evidemment, c’est toujours peine perdue…
LA COMMUNICATION ÉMOTIONNELLE par DAVID SERVAN-SCHREIBER