Vivre ensemble autrement
Posté par othoharmonie le 9 avril 2013
de l’auteur : Pascale d’Erm
Vivre les uns sur les autres, les uns à côté des autres, entassés dans des villes, ne signifie pas VIVRE ENSEMBLE, bien au contraire.
Dans nos villes, vivre ensemble rime souvent avec nuisances, stress, conflits de voisinage, etc. Pourtant, nous sommes de plus en plus nombreux à aspirer vivre de façon plus solidaire, en nouant des liens plus authentiques et plus intenses entre nous et avec notre environnement. La crise immobilière, l’isolement des familles monoparentales ou de nos anciens, notre vulnérabilité économique nous incite à nous regrouper pour partager, nous entraider, mutualiser les biens.
Un peu partout en Europe, des groupes ont commencé à s’extraire de la société de consommation pour donner un sens nouveau à leur vie et fonder, au plus profond de la nature comme au cœur des villes, des îlots de vie collective. Mais quels sont les fondements de ce nouveau « Vivre ensemble » respectueux des libertés de chacun ? A travers des exemples d’habitat collectif européens- un écovillage en Italie, un village coopératif en Ardèche, un écoquartier modèle en Allemagne, un grand pensionnat retapé collectivement en Belgique, un écohameau dans les Cévennes, un village d’insertion sociale en Belgique -voici les clés d’un Vivre ensemble épanouissant et inspirant pour chacun de nous.
Quatre mots clés : Plaisir, Parole, Liens et Liberté
Le vivre ensemble contemporain des lieux que j’ai pu visiter se révèle à travers quatre mots clés, quel que soit le pays d’Europe :
•Plaisir de vivre ensemble : il est bien réel, et renouvelé au quotidien même après parfois 20 ans de vie commune. Un plaisir qui va de pair avec des difficultés -inévitables-. Les problèmes, du Vivre ensemble, « c’est un peu comme dans un couple, mais puissance 10 ! ». Le plaisir naît aussi de l’impression de donner un nouveau sens à sa vie : tous les choix ont un sens (choix du lieu de vie, de son voisin, autonomie prof, etc). Les habitants des lieux collectifs vont de l’avant, « sortent du cadre », réinventent leur quotidien, mais pas seuls….
•Parole : elle circule beaucoup : l’on se parle, échange, entre soi et avec l’extérieur (certains lieux développent l’accueil de touristes, de classes vertes, etc). Ce ne sont pas des lieux fermés sur eux-mêmes.
•Liens : Il s’agit de retrouver le plaisir du lien quotidien, l’intensité du lien, l’utilité du lien et toutes ces valeurs qui s’entrelacent autours : solidarité, entraide, tolérance, ouverture, échanges, enrichissement mutuel, transmission intergénérationnelle, etc. etc. La nature de ces liens est tout à fait particulière : ni seulement amicale (nous avons tous des amis qu’on adore, mais avec lesquels nous ne pourrions pas vivre), ni familiaux, puisque les habitants des lieux collectifs se choisissent, contrairement à la famille qu’on ne choisit pas…
C’est une famille de cœur en quelque sorte, fondée sur un projet de vie commun.
•Liberté : Vivre ensemble, et chacun chez soi : c’est l’une des clés fondamentales de ces lieux collectifs, et leur totale modernité.
L’équilibre entre l’intimité et le collectif permet à chacun de se réaliser, de s’épanouir dans ses deux dimensions, la privée et la sociale. Chacun y possède sa propre maison, avec parfois un jardin même. Mais cet espace privé s’inscrit dans un cadre collectif acquis ensemble (souvent par le biais d’une SCI) partagé et géré en commun : salles de réunions, ateliers, garage, celliers, parfois un parc, etc. En reconnaissant l’importance de l’individu, les nouveaux lieux de co-habitats se démarquent de toutes les tentatives avortées et dangereuses d’utopies imposées, politiques fondées sur l’exclusion, ou peut-être pire, la ressemblance.
Les écolieux ou lieux communautaires qui perdurent depuis les années 1970 ont su évoluer pour laisser une place de plus en plus grande à la liberté individuelle et aux projets de chacun, en les stimulant même, tout en demeurant portés par des modes de vie collectifs structurés.
En vivant ensemble ainsi, une vie proche de ses convictions et de ses valeurs, plus autonome, on se libère aussi collectivement d’un gros poids, celui d’une société à laquelle on n’adhère plus vraiment grâce à la mise en place d’une autonomie tous azimuts : alimentaire (potagers, permaculture..), énergétique et eau (usage d’énergies alternatives, récupération d’eau de pluie/toilettes sèches). Sans oublier le co-voiturage, la mutualisation des biens et une vie professionnelle plus indépendante aussi : la liberté est croissante ! Au total : toi+toi+toi+toi = moi puissance 10 !
Aujourd’hui, vivre ensemble, ce n’est pas perdre sa liberté, c’est la gagner avec et grâce aux autres.
Deux exemples d’écolieux pionniers
•TORRI SUPERIORE. Un écovillage de charme en Italie.
Torri superiore est un village médiéval à quelques encablures de Ventimiglia, un dédale de ruelles en pierre où dévalent les enfants suivis par les chèvres… ou l’inverse. Il s’agit d’une ancienne ruine rénovée depuis les années 80 : 12 ans de chantier, 162 pièces restaurées sur 8 niveaux. Torri abrite dix familles résidentes propriétaires collectivement et est animé par une association culturelle. Chaque famille a sa maison et son jardin et se partage la salle à manger commune, les salles de réunions, de yoga, l’accueil du public dans les chambres d’hôte. Il y règne une incroyable fluidité collective, sans qu’aucune autorité supérieure ne semble s’imposer…. Le vivre ensemble est fondé sur un travail collectif intense, chacun selon ses compétences : chantier, accueil du public, préparation des repas (70 repas par jour en été).
•L’ECOQUARTIER Vauban, un modèle européen.
Il est visité par des milliers de « costumes-cravates officiels » chaque année, dont bon nombre de Français, qui repartent en disant, « hum hum, intéressant, mais difficile à concrétiser… ».
A Vauban, le lien social et humain est non seulement primordial, mais il est à l’origine de tout, puisque ce sont des étudiants squatteurs qui ont occupé une ancienne friche militaire, puis des « communautés de constructeurs », en fait des groupes d’habitants, qui ont voulu, désiré, conçu, inventé et structuré ce quartier. Les « Baugruppen » voulaient un lieu de vie différent, solidaire, construit avec des matériaux écologiques. Ils ne se connaissaient pas, mais se sont retrouvés, en groupe, à travailler sur des projets d’immeubles collectifs durant parfois deux ans. Ils sont allés chercher des matériaux en Autriche, en s’inspirant des architectes du Voralberg voisin, ont imaginé ces coursives sans barrières, des terrasses sans murs, des garages à vélos, buanderies, et autres lieux collectifs. Ils ont négocié l’absence de voitures et plaidé pour la construction d’une ligne de tram au cœur du quartier, financée par l’achat des terrains. C’est ce pari, cette émulation, ce risque un peu « fou » comme disent aujourd’hui les habitants, qui a littéralement soudé les groupes et qui constitue, aujourd’hui encore, le socle du quartier.
Au final, Vauban est un « paradis urbain », pourtant doté d’une densité incroyable -5000 habitants y vivent- mais où règne un grand calme. Une multitude d’enfants y jouent dans la rue. Un peu partout, on voit des voisins en train de déjeuner ensemble, se prêter la machine à laver, constituer des groupes de chant, donner de leur temps pour les personnes âgées…
La réussite de ce lieu ? : Un mélange improbable mais déterminant sans doute d’idéalisme, d’utopie, et de pragmatisme… □
Pascale d’Erm est journaliste, réalisatrice, elle a travaillé aux côtés de la Fondation Nicolas Hulot, de Yann Arthus Bertrand, de l’ex-Cinquième, de France 3 Ouest, de Santé magazine. Actuellement directrice de la collection « les nouvelles utopies » (éditions Ulmer) et auteur de « Vivre ensemble autrement » (paru en octobre 2009 chez Ulmer), et de « Vivre (plus) lentement » et « Se régénérer grâce à la nature » (parution avril 2010).
A lire : « Vivre ensemble autrement ». Pascale d’Erm et Patrick Lazic (photos). Editions Ulmer. 24.90€
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