Le Viol d’Europe ou le féminin bafoué
Posté par othoharmonie le 8 juillet 2013
Aux fondements de la culture européenne : un déséquilibre masculin/féminin.
par Françoise Gange
Le mythe d’Europe est, comme tous les grands mythes fondateurs, constitué par la superposition de deux strates reflétant les deux cultures qui se sont universellement succédées : l’antique culture de la Grande Mère et de son consort symbolisé sous les traits du grand Taureau fécondant, puis celle du Dieu Père qui est venue la supplanter par les armes (premières guerres de l’histoire) en se présentant comme le Commencement. Ce mythe d’Europe n’a été lu jusqu’ici que dans sa dernière strate, la plus récente, qui exprime la perspective grecque patriarcale ; la première strate ou strate originelle, concernant la culture de la Déesse, ayant été effacée.
C’est ainsi que le cœur du mythe, à savoir les tribulations d’Europe enlevée sur le rivage de Tyr et violée par Zeus en Crète où il l’a emmenée, s’avère mettre en scène, originellement, non pas la plaisante « histoire d’amour » que l’on a présentée traditionnellement, mais la grande révolution historique qu’a connue l’humanité aux âges du Bronze : d’une culture du féminin sacralisé dans la « première Histoire », l’humanité est passée à la culture du féminin déchu et livré à l’homme, devenu le guerrier conquérant de cette « deuxième histoire » qui est encore la nôtre.
Le « dépoussiérage » de ce mythe permet de saisir les causes de la violence contemporaine, issue de la désacralisation conjointe du féminin de l’humain et de la Nature, intervenue voici plus ou moins 5000 ans, c’est-à-dire hier au regard d’une aventure humaine vieille peu ou prou de 2 millions d’années. Si, abandonnant l’optique patriarcale univoque, on perçoit le viol d’Europe comme l’équivalent de la chute de l’Ame, et le triomphe de Zeus comme le triomphe de la Matière et de la force brute, on est alors à même de comprendre l’essence des sociétés modernes où l’équilibre féminin/masculin a été détruit et où la violence est allée de pair avec un matérialisme porteur de mort. Une trilogie d’exploration de la culture universelle
« Jésus et les Femmes » « Avant les Dieux, la Mère Universelle » « Le Viol d’Europe ou le féminin bafoué » forment une œuvre de redécouverte de la culture néolithique qui a précédé l’émergence de l’ordre patriarcal. Cette trilogie qui commence en Mésopotamie, sur le territoire de Sumer (correspondant en gros à l’Irak contemporain) d’où sont originaires les mythes les plus anciens déchiffrés à ce jour, pour se poursuivre en Grèce, en Egypte, au Moyen Orient, en Inde, sans oublier l’Europe. On y découvre que la culture patriarcale conquérante, c’est-à-dire guerrière, étayée sur les valeurs matérielles d’extension des territoires, d’accumulation des biens et de compétitivité, n’a pas toujours existé mais qu’elle est au contraire récente au regard de la longue culture qui l’a universellement précédée, organisée autour de la notion de divin féminin, et qu’elle a fini par submerger après une suite de revers.
Il est traditionnel de présenter cette culture patriarcale, dernière en date, comme la seule digne d’attention car elle représenterait le « progrès » accompli sur des temps antérieurs de « chaos ». Ce que révèlent ces trois livres, c’est que bien au contraire, l’émergence de l’ordre patriarcal conquérant, venu s’installer militairement (premières guerres de l’histoire) par-dessus la culture structurée autour de la Grande Déesse, Mère divine universelle, s’est accompagnée, dans toutes les zones géographiques confondues, de temps de chaos guerrier, véritable régression culturelle à différents niveaux. Les mythes de Sumer témoignent du fait que cette « première culture », aux temps du divin féminin, loin de limiter les actions et comportements humains à la seule matérialité, évoluait dans un monde symbolique qui prenait en compte la dimension spirituelle de l’humain et du monde. On découvre que l’amour, envisagé comme l’union entre les deux grands principes féminin et masculin, était sacralisé comme l’étaient aussi les arts -chants, danses, musique, représentations symboliques dessinées ou sculptées…- qui tenaient une place d’importance dans la vie sociale. On y apprend pourquoi et comment la culture guerrière postérieure, qui est toujours la nôtre et qui a démonisé le féminin et chassé le spirituel (l’être et l’âme) de ses préoccupations, pour se consacrer au monde matériel de l’avoir, a progressivement réussi, presque partout, à effacer cette « première culture » ou culture du féminin divin, en se faisant alors passer pour le Commencement.
Cette trilogie met en lumière le fait révolutionnaire que tous les grands mythes fondateurs universels, premiers écrits organisés que nous a laissés l’humanité, loin de n’être que des œuvres de pure imagination comme on l’a cru trop souvent, représentent en réalité la voie royale vers la totalité de notre Histoire, totalité de notre mémoire, car ils restituent dans leurs strates originelles non aperçues jusqu’ici, l’histoire des temps anciens enfouis, c’est à dire cette culture de la Déesse, dont l’histoire « officielle » désireuse de promouvoir la culture patriarcale conquérante, a effacé la trace. On découvre ainsi que le mythe n’est pas synonyme de « fable », mais qu’il se révèle au contraire comme l’ultime gardien de notre première histoire enfouie, histoire à laquelle la culture patriarcale s’avère avoir fait tant d’emprunts… elle qui se présentait comme seul vecteur de « civilisation ».
Dernière découverte d’importance : ces trois livres mettent en lumière le fait que l’œuvre de démonisation et d’occultation du rôle historique du « Grand féminin » <-féminin divinisé qui constituait le pivot de la culture au néolithique- entreprise par les premières religions patriarcales, a été reprise et parachevée par la religion du Dieu biblique, premier Dieu sans parèdre féminine de toute l’histoire ; puis par le judéo-christianisme qui a fait dégénérer le message du Jésus de la gnose, message dont le cœur était la réhabilitation du féminin démonisé, dans un but de réconciliation de l’humain avec ses deux moitiés, féminine masculine.
Françoise Gange, philosophe et ethno-sociologue, se consacre depuis un quart de siècle à l’exploration des mythes, faisant ressortir leur rapport étroit avec l’histoire vécue par l’humanité. Elle a publié autour de ce thème divers essais et romans, et participé à des œuvres collectives. Par ce nouveau livre intitulé Le Viol d’Europe ou le féminin bafoué, elle poursuit l’œuvre de découverte ou plus exactement de désoccultation, de notre première mémoire, première culture, des temps où le divin était féminin, commencée avec Avant les Dieux, la mère universelle et Jésus et les Femmes. Aux Editions Alphée.
A lire : le viol d’Europe ou le féminin bafoué. Françoise Gange. Editions Alphée.
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