Matérialiste et Spiritualisme
Posté par othoharmonie le 16 juillet 2013
Serait-ce l’espoir d’une nouvelle ère, celle d’un XXI° siècle où les deux camps qui s’affrontaient jusqu’à présent, le matérialisme et le spiritualisme, s’ils sont logiques et de bonne foi, ne pourraient plus s’exclure, le principe d’incomplétude leur interdisant à tous deux de prétendre détenir la vérité ?
Tout à fait. Cette complémentarité des approches scientifique et spirituelle est très importante. Je suis persuadé que la science ne constitue pas la seule fenêtre qui nous permet d’accéder au Réel. Cela serait arrogant, de la part d’un scientifique d’affirmer le contraire. La spiritualité, au même titre que la poésie ou l’art, constitue une fenêtre complémentaire à la science pour contempler la réalité. Le théorème de Gödel va dans ce sens : en ce qui concerne la connaissance du monde, même la raison a des limites. Seule, jamais la science ne pourra aller jusqu’au bout du chemin. Il nous faut donc faire appel à d’autres modes de connaissance, comme l’intuition mystique ou religieuse (le mot bouddhiste pour cette intuition mystique est l’ « Eveil »), l’art ou la poésie, informés par les découvertes de la science, pour nous rapprocher de la réalité ultime. Les Nymphéas de Monet ou les poèmes de Rimbaud nous éclairent autant sur le réel que la physique des particules ou la théorie du Big Bang. Avec Matthieu Ricard dans L’infini dans la paume de la main , nous avons mis en évidence une convergence et une résonance certaine entre les deux visions, bouddhiste et scientifique, du réel. Le concept d’interdépendance qui est au cœur du bouddhisme évoque de manière étonnante la globalité du monde à l’échelle atomique et subatomique mise en évidence par l’expérience EPR. Le concept bouddhique de la vacuité trouve son pendant scientifique dans la nature duale de la lumière et de la matière en mécanique quantique : tous les deux sont à la fois onde et particule. Le concept bouddhique de l’impermanence fait écho au concept d’un univers en évolution constante. Les manières respectives d’envisager le réel du bouddhisme et de la science ont débouché, non pas sur une contradiction aigue, mais sur une convergence harmonieuse. La science nous apporte des informations, mais n’a rien à voir avec notre progrès spirituel et notre transformation intérieure. Par contre, l’approche spirituelle doit provoquer en nous une transformation personnelle profonde dans la façon dont nous percevons le monde et agissons sur lui. Confronté à des problèmes éthiques et moraux, comme en génétique, le scientifique a besoin de la spiritualité pour l’aider à ne pas oublier son humanité.
Quelle importance a un point de vue comme le vôtre dans la communauté scientifique aujourd’hui ? À lire la presse, non pas de France (ce serait trop beau), mais d’outre-Atlantique, on a l’impression que beaucoup de scientifiques le partagent…
Beaucoup ? C’est peut-être trop dire ! Mon point de vue est plutôt minoritaire dans le monde scientifique. La majorité de mes collègues ne se posent pas de question spirituelle, ou en tout cas n’en parlent pas ouvertement. D’autres encore mettent une cloison étanche entre la science et la spiritualité. Ils font leur science pendant la semaine et vont à l’église le week-end. Mais il ne leur viendra jamais à l’esprit de connecter les deux activités ensemble. Ce sont des compartiments séparés de leur vie. Dans leur esprit, leur foi n’a rien à voir avec la science qu’ils pratiquent. Je comprends ce genre de position qui est tout aussi défendable que la mienne. Mais attention ! Bien que je sois en faveur d’un dialogue entre science et spiritualité, il faut bien comprendre que ce n’est nullement mon intention d’imprimer à la science des allures de mysticisme, ou d’étayer la spiritualité (dans mon cas le bouddhisme) par les découvertes de la science. La science fonctionne parfaitement et atteint le but qu’elle s’est fixée sans aucun besoin d’un support philosophique du bouddhisme ou d’une autre tradition spirituelle. Le bouddhisme est la science de l’Eveil, et que ce soit la Terre qui tourne autour du Soleil ou le contraire ne change rien à l’affaire. Mais parce que ces deux systèmes de pensée représentent l’un comme l’autre une quête de la vérité, dont les critères sont l’authenticité, la rigueur et la logique, leurs manières d’envisager le réel ne devraient pas déboucher sur une opposition irréductible, mais, au contraire, sur une harmonieuse complémentarité. En ce sens, j’adhère totalement à ce que le physicien allemand Werner Heisenberg a écrit : « Je considère que l’ambition de dépasser les contraires, incluant une synthèse qui embrasse la compréhension rationnelle et l’expérience mystique de l’unité, est le mythos, la quête, exprimée ou inexprimée, de notre époque ».
Pour une minorité de scientifiques, il y a certainement eu un questionnement. C’est ainsi qu’une amorce de dialogue entre science et spiritualité a eu lieu dans les dernières années, surtout dans les pays anglo-saxons comme les Etats-Unis (où je réside) et l’Angleterre. En France, la tradition de l’éducation laïque rend ce genre de dialogue plus difficile. J’ai ainsi fait partie en l’an 2000 d’un groupe de travail composé de physiciens et de cosmologues, dont quelques prix Nobel (comme Charles Townes, l’inventeur du laser) réunis par un milliardaire américain, Sir John Templeton, qui a fait fortune à Wall Street et qui a créé une fondation (la John Templeton Foundation) pour financer la recherche sur des ponts possibles entre science et spiritualité. Notre groupe a beaucoup discuté des conséquences spirituelles et philosophiques de la physique et de la cosmologie contemporaines. Il existe donc certainement une ouverture spirituelle chez certains scientifiques de très haut niveau, universellement reconnus par la qualité de leurs travaux par leurs pairs, puisque c’est l’un des critères de sélection pour appartenir à ce groupe. En 2002, j’ai été aussi l’un des membres fondateurs de la International Society for Science and Religion (ISSR ou Société Internationale pour la Science et la Religion) basée à l’Université de Cambridge, en Angleterre. Cette société rassemble quelques deux cents scientifiques de haut niveau, du monde entier, appartenant à tous les domaines scientifiques et à des traditions spirituelles variées, et a pour but de favoriser et de développer le dialogue entre science et spiritualité. Il faut aussi noter qu’il existe un grand intérêt de la part du grand public pour ce genre de dialogue. Notre livre sur les relations entre la science et le bouddhisme avec Matthieu Ricard a été un best-seller, non seulement en France, mais aussi dans des pays aussi divers que la Belgique ou les Etats-Unis !
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