Habiter le monde autrement
Posté par othoharmonie le 17 juillet 2013
Nichée au creux d’un arbre ou bâtie au fond d’un jardin, la cabane fait rêver de plus en plus de citadins stressés ou d’amoureux de la nature en quête de calme et de poésie… Voyage au pays des nouveaux « barons perchés ».
Palais, bâtisse, forteresse, coquille : la cabane représente tout cela à la fois. Du désir d’habiter le monde autrement au retour à l’état de nature, elle constitue avant tout un jeu, un « je » de construction, diraient les lacaniens. Une rêverie à laquelle l’enfant donne corps, avec la puissance de son imaginaire, et que l’adulte ressuscite, plus tard, à travers le prisme déformant de la nostalgie.
Pour l’enfant, bâtir une cabane, c’est construire pour la première fois. Et se construire. En dressant quatre murs rassurants, un toit et une porte, que lui seul pourra ouvrir ou claquer, il fait ses premiers pas vers l’autonomie. Dans leur cahute, les bambins se forgent une identité, « en y érigeant des règles, des relations sociales inspirées de celles des adultes, mais dans un “comme si” qui n’est pas un “tout comme” », explique le pédopsychiatre Eric Lemonnier. L’enfant édifie d’ailleurs toujours son abri à proximité des espaces de vie des grands. Car il est avant tout un point de guet, d’où il peut voir sans être vu. La cabane joue un rôle de laboratoire de la personnalité en devenir. Dans cet atelier d’expérimentation psychique, l’enfant se forge des secrets et cache, tels des trésors, les réponses obtenues à ses questionnements.
« Ne chassez pas l’homme trop tôt de la cabane où s’est écoulée son enfance », recommande le poète allemand Friedrich Hölderlin. Car rêver de cabane, c’est renouer avec l’enfant enfoui en nous. Mais ce que l’adulte cherche à ressusciter, c’est l’image mythique qu’il se fait de cette époque révolue. Une fois devenus grands, certains ont décidé d’imiter Côme, le poétique Baron perché d’Italo Calvino, en se nichant dans les frondaisons. Pour prendre de l’altitude et de la distance par rapport au quotidien. Ainsi le photographe Yann Arthus-Bertrand, qui s’est fait construire une cabane à quinze mètres du sol dans un chêne tricentenaire, et confie « rêver d’y habiter à plein-temps ». La cabane – du latin capana, « ce qui contient un homme seul debout » – forme un cocon, « un espace clos, enveloppant, berçant, dont émerge quelque chose de doux rappelant l’utérus et la chaleur du ventre maternel », analyse Catherine Jaconelli, pédopsychiatre et psychanalyste.
Havre de paix propice à l’introspection, le séjour en cabane répond à une invite au voyage intérieur. « Le consumérisme incite aujourd’hui l’individu à se retirer du monde pour adopter une vie plus ou moins contemplative, à la manière de Diogène, qui, méprisant honneurs et richesses, s’exila dans son tonneau », remarque Eric Lemonnier. La précarité des lieux favorise en effet le dépouillement de soi, le recueillement, et indique la voie de la sérénité. « Tel l’ermite dans sa hutte ou le sage dans le pavillon de thé oriental, […] le solitaire veut retrouver l’apaisement et la sagesse perdus, croit-il, dans le fracas du monde environnant », écrit joliment Sonya Faure dans son livre Cabanes. Ni imaginaire ni totalement ancrée dans le réel, la cabane représente en quelque sorte ce que le pédiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott appelait une « aire transitionnelle ». Elle ne constitue pas seulement un territoire physique, mais ouvre les portes d’un espace psychique où l’individu se réfugie temporairement. Pour mieux en sortir.
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