LA CROISSANCE NE CRÉE PAS D’EMPLOI
Posté par othoharmonie le 28 août 2013
N.C. : L’économiste marocain Hassan Zaoual fait remarquer que si l’on s’en tient aux théories économiques en vigueur, qui ne tiennent pas compte du grouillement des « économies informelles », la moitié de l’humanité ne devrait pas être en vie. Selon lui, nous ne sommes pas des homo economicus mais des homo situs, des êtres « situés », un site n’étant pas seulement un lieu, mais aussi une boîte noire de croyances, de mythes, de conceptions non explicites, et une boîte à outils pleine de savoir-faire. La majorité de l’humanité se débrouille avec de tout petits boulots. Et vous nous dites que c’est l’avenir plutôt que le passé ?
T. G. : Il faut cesser de croire aux informations officielles, qui disent par exemple que la croissance crée des emplois. C’est faux ! La transformation actuelle du système technique nous fait passer de la civilisation industrielle à la civilisation cognitive. Or une transformation technique se déroule toujours en deux temps : d’abord, on produit des objets qui facilitent la vie (l’ordinateur, le portable), puis on a une crise de l’emploi parce que la productivité augmente alors que la demande reste stagnante. C’est la crise de jeunesse, comme en 1848 pour l’industrialisation. La réponse de la classe dirigeante est généralement de lancer de grands programmes structurants d’investissements, et d’encadrer les jeunes. Aujourd’hui, on le voit avec la crise de l’immobilier américain, la réponse consiste à créer de la monnaie, dans un système financier international déjà fortement surévalué. Difficile de dire combien de temps les banques centrales vont pouvoir le maintenir sous perfusion – créant ex-nihilo l’été dernier deux cent milliards de dollars en un week-end ! Résultat à prévoir : inflation, appauvrissement général, mais pas plus d’emplois. Nous avons toujours pensé que la période critique se situe entre 2010 et 2020. Il est possible que les Systèmes d’Échanges Locaux, c’est-à-dire les monnaies libres, une fois sur internet et étendus aux entreprises comme cela commence à se faire, représentent une alternative à ces grandes monnaies officielles, qui ont tendance à devenir de plus en plus de la fausse monnaie (cf. article Noubel, page xx). Il y a là des éléments structurants, qui vont se mettre en place en même temps que ce retour, dont je parlais, vers la campagne et des systèmes plus autonomes et locaux.
N.C. : Vous croyez vraiment que les villes vont se vider, alors qu’elles se remplissent de plus en plus, au niveau planétaire en tout cas ?
T. G. : Nous venons, en effet, de passer le cap de la moitié de l’espèce humaine urbanisée, et l’on sait que le gros de la dépense énergétique (70 à 80%) est le fait des villes. Mais qu’est-ce que cela veut dire exactement ? Rapportée au nombre d’habitants, cette dépense est très inégale. Certaines villes, comme Houston ou Los Angeles, consomment énormément, d’autres, comme Hong Kong, très peu. De plus, on assiste à une évolution qui tend à réintroduire la nature dans la ville. Il est possible d’imaginer une adaptation urbaine, ou rurbaine, du style de vie dont je parle, plus autonome et pluri-active. Beaucoup de citadins sont déjà pluri-actifs. Enfin, il faut insister sur un point crucial : les nouveaux systèmes de communication, qui permettent par exemple le travail à distance, n’ont pas encore produit leurs effets sur la structuration des territoires et sur la répartition entre ville et campagne. Ces conséquences vont se faire sentir dans la prochaine décennie : les gens vont faire d’autres choix sur la manière d’équilibrer leur vie, comme on commence à le voir de façon encore très discrète. Cela n’a rien de spectaculaire, ce sont des petites décisions élémentaires, mais le phénomène est appelé à s’amplifier – la technologie y contribue.
Extrait de l’interview de Thierry Gaudin paru au http://www.cles.com/
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