DES COLLECTIFS SANS CHEF ?
Posté par othoharmonie le 4 septembre 2013
T. G. : Les humains sont, comme beaucoup de primates, des êtres tribaux. Autrefois on appartenait à une tribu par sa naissance, aujourd’hui l’entreprise en tient lieu. Mais comment être fidèle à un patron infidèle ? Le modèle s’est brisé. Évidemment, le retour vers des systèmes locaux et autonomes ne résoudra pas tout. Une partie de la population ne sait pas maîtriser cette diversité et a besoin d’un système plus encadré. Heureusement, les grands investissements structurants auxquels les États continueront à avoir recours pour sortir des crises permettront d’encadrer un certain nombre de gens qui ne trouvent pas à s’employer dans l’économie « légère » ou qui ont besoin d’un cadre. Pour d’autres – et grâce aux nouvelles technologies -, la solution passera par la multi-appartenance, les attachements multiples, d’autres formes d’organisation fondées sur l’amitié, sur la proximité physique ou, grâce à internet, la proximité en esprit. Le lien n’est plus juridique, il devient informel. On le voit à l’œuvre dans nombre d’associations : le chef n’est pas un leader à l’ancienne, mais un organisateur, les gens fonctionnent en « socianalyse », c’est-à-dire qu’ils analysent ensemble la situation suffisamment bien pour que chacun, ensuite, sache ce qu’il a à faire sans qu’on lui donne des ordres. Ils ne fonctionnent pas par rapports de force ou d’influence, mais par la clarification. Nous procédions ainsi quand j’animais le groupe de prospective au ministère de l’industrie, et vingt-cinq ans plus tard, les liens ont perduré et nous travaillons de la même manière à Prospective 2100 .
N.C. : Ce choix venait de vous, personnellement. N’est-il pas paradoxal de devoir constater que dans la plupart des cas, ce mode de fonctionnement résulte de la personnalité du dirigeant ? Les structures les plus intéressantes seraient-elles celles où il existe un chef, dans le sens d’un fondateur, comme pour les ordres religieux ?
T. G. : L’élément fondamental d’un ordre religieux n’est pas tant le chef que la règle. Car c’est la règle qui assure le bon fonctionnement et la pérennité. C’est le retour à la règle de saint Benoît (travailler de ses mains, vivre de sa propre production) qui a permis aux monastères cisterciens de devenir les foyers de diffusion des techniques à l’origine de la grande transformation du Moyen Âge, quand la population européenne a doublé en deux siècles. Mais nous sommes influencés par l’image du chef militaire, configuration très particulière puisqu’elle permet au chef de demander à ses subordonnés de sacrifier leur vie. On ne peut se référer à cette image que face à des problèmes de survie collective graves. En temps normal, l’exercice du pouvoir, c’est le renoncement au pouvoir. La monarchie ne perdure qu’en devenant constitutionnelle, réduite à une gestion de symboles, l’opérationnel fonctionnant par une régulation sans que le monarque ait besoin d’intervenir. Le problème actuel vient peut-être de ce que nous aspirons à nous donner des chefs, mais qu’il se produit une confusion de type press-people, qui fait que nos élus ne sont pas vraiment à la hauteur. Personne ne connaît le nom du chef du gouvernement suédois, et pourtant ce pays fait des avancées gigantesques vers une société écologique.
Extrait de l’interview de Thierry Gaudin paru au magazine nouvelles CLES
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