Les enfants sont nos maîtres de patience
Posté par othoharmonie le 26 octobre 2013
Dans le cadre de la série « des valeurs à vivre », Jean-Claude Genel a rencontré pour nous Louise BRISSETTE, une mère adoptive de 25 enfants handicapés. Cette femme est portée par un amour qui engendre la patience et par une patience qui engendre l’amour.
En arrivant chez Louise Brissette, j’ai compris que je me trouvais dans un espace consacré à une enfance différente. J’ai même senti que le temps n’avait pas ce même pouvoir de contrainte et de stress. Au-delà de l’apparence, il règne ici la paix et la tranquillité.
Jean-Claude : Louise, qu’avez-vous appris de la patience et de vous-même à travers l’expérience que vous avez choisie ?
Louise : J’ai appris que la patience c’est tout simplement de l’amour ! J’ai vite découvert qu’on ne peut pas aller à la rencontre de ces enfants sans faire un cœur à cœur. Ces enfants sont dans l’instant présent, ils ne vivent pas pour demain ou après-demain, ni pour obtenir quelque chose. Ils vivent pour être et quand tu veux être, la patience fait nécessairement partie de ton bagage. Les adultes, eux, sont toujours désorganisés face à l’imprévu et toujours impatients pour une chose qu’ils veulent immédiatement. Les enfants sont nos maîtres. Ils nous apprennent qui nous sommes.
Le « cœur à cœur » que vous vivez avec vos enfants devrait-il se vivre aussi entre adultes ?
Oui, nous sommes heureux de rencontrer les autres, mais nous ne savons pas toujours comment entrer en relation avec eux. Nous avons besoin de toutes sortes de repères comme, par exemple, de savoir quelque chose d’eux. Pourtant, Christian Bobin n’a-t-il pas écrit un jour : « Ce que l’on sait d’une personne nous empêche de la connaître ». Mes enfants ne savent rien de personne, ils sont donc dans l’instant de la relation qui, pour eux, est ce qu’elle est. Comme ils n’attendent rien, ils sont donc naturellement patients. Ces enfants me donnent une soif d’être et je ressens leur patience comme de l’amour, l’amour de l’instant présent.
Tout à l’heure, je vous entendais dire que l’adulte doit accepter de ne pas tout comprendre tout de suite quand ces enfants s’expriment, il doit donc faire preuve de patience et s’ajuster.
Oui, c’est un apprentissage et l’on doit accepter que les mots soient parfois des accessoires qui nous empêchent d’aller plus loin dans la relation. Quand ils nous parlent et que nous ne comprenons pas, nous nous efforçons de les regarder dans les yeux car même, si ces enfants sont démunis intellectuellement et physiquement, ils nous parlent dans les yeux. J’ai ainsi découvert que les écouter avec les oreilles ne suffit pas. Combien d’adultes nous disent « bonjour » et, à peine ce bonjour terminé, sont déjà loin ! Ils ne nous ont pas regardés dans les yeux et, finalement, ils ne nous ont pas vraiment salué. Tandis que, pour les enfants handicapés, même s’ils ne disent pas « Bonjour, comment ça va ?», toute leur âme nous parle à travers leurs yeux. C’est là que la patience entre en jeu ! Elle nous permet de quitter nos repères sécurisants, et d’entrer dans ce « cœur à coeur » et de vivre l’instant présent.
Les gens qui viennent ici me disent qu’ils se sentent dans le « vrai monde » car ailleurs ils ne prennent pas le temps de vivre. Ici, le temps n’est pas une denrée rare, même s’il passe aussi vite qu’ailleurs. Dans leur apprentissage de la vie, les enfants sont toujours en émerveillement. Ils nous montrent comment nous préparer à la saison qui arrive et sur laquelle on n’a aucun contrôle, comment apprécier la manière dont elle se manifeste. Avec eux, nous finissons toujours par voir le meilleur côté des choses. Le temps devient un allié car on n’est pas dans un lieu de performance, mais sur une terre de vécu au quotidien. Autrement dit, on n’a pas d’attente, pas de stress. Si la maladie se présente et fragilise certains de nos enfants, on prend le temps de les accompagner vers la guérison.
Peut-on dire que la patience nous invite à une autre expression de nous-mêmes, qu’elle nous permet de grandis intérieurement ?
Continuellement, parce que l’on est pressé, on est juste un paquet d’émotions et de sens, mais on ne vit plus avec nos émotions et avec nos sens. Ce qui est merveilleux dans l’être humain, c’est qu’il peut vibrer avec son cœur, avec son âme. Nos cinq sens sont trop souvent sous-utilisés. C’est la même chose pour les idées. Nous prenons les idées toutes faites car nous n’avons plus le temps de penser par nous-mêmes. La patience est la valeur qui nous permet d’avoir des passions et de vibrer.
Ces enfants sont-ils patients avec nous ?
Oui ! Si on ne comprend pas, ils répètent de différentes façons : avec les gestes, ils nous montrent un objet, nous conduisent vers un endroit. Ils sont patients, toujours à l’écoute, continuellement émerveillés de nous retrouver et jamais intolérants. Dès mon réveil, j’ai toujours hâte de les retrouver parce qu’ils sont toujours en amour avec leur mère (rires) !
La patience serait-elle une façon de communiquer et d’être présent dans la vie en général et dans la vie de l’autre en particulier.
C’est une valeur très importante car elle nous apprend à savoir attendre et écouter. Elle nous apprend à nous abandonner à une autre valeur qui est la confiance. Si je regarde un pommier et que je suis impatiente, je me persuaderai qu’en enlevant les belles fleurs, j’aurai des personnes plus rapidement. Et finalement, je ne récolterai rien. C’est la même chose pour l’éducation des enfants d’aujourd’hui, on leur vole leur enfance. Les miens m’apprennent à retrouver la mienne.
Dans le système éducatif, on veut que les enfants apprennent à marcher de plus en plus tôt, qu’ils montent à vélo encore plus tôt et qu’ils aient de bons résultats à l’école. On les empêche ainsi de se structurer avec l’innocence et la fraîcheur de leurs qualités d’enfants. Si on n’a pas été patient avec l’enfant, comment lui demander de l’être à son tour ?
Merci à Louise de nous avoir présenté cette valeur si malmenée dans notre vie moderne. Je souhaite de continuer de grandis dans cette patience, donc dans cet AMOUR.
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