« Charles Baudouin, Le Passeur »

Posté par othoharmonie le 22 décembre 2013

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 un texte de Jean-Michel Blanquer

  

L’un des grands plaisirs de la lecture réside dans cette impression de proximité, si souvent éprouvée, vis-à-vis d’un auteur qui, selon l’expression erronée, « n’est plus de ce monde ». Nous sommes touchés, à des milliers d’années d’intervalle, par l’épopée de Gilgamesh refusant la mort. Nos dilemmes sont ceux des personnages de Sophocle. Nous parcourons les pensées de Pascal comme un chemin familier qu’auraient emprunté nos ancêtres, avant lui et après lui.

Ces hommes nous donnent le plaisir de sentir une universalité concrète. Il y a ainsi des auteurs avec qui l’on aimerait parler, une fois le livre fermé, avec la certitude que le temps s’immobiliserait comme cela se produit quand on discute entre amis. J’ai ressenti cela dès ma première lecture de Charles Baudouin qui est mort à peu près quand je suis né.

Nous ne refoulons pas seulement nos instincts. Nous refoulons aussi notre âme. L’affirmation vient d’un psychanalyste, fortement influencé par Jung, et elle me paraît lumineuse. Elle éclaire l’oeuvre de Baudouin dans toutes ses dimensions, scientifique et littéraire. L’homme se présente en effet avant tout comme un pédagogue, ou même comme un psychagogue. Il a commencé par enseigner la philosophie au lycée de Neufchâteau, non loin de Nancy où il était né. Il a alors une vingtaine d’années.

Lorsque la guerre est déclarée en 1914, il est réformé parce qu’il est tuberculeux. L’Est de la France est envahi. Il entend parler d’un institut à Genève qui porte le nom du philosophe qu’il vénère, Jean-Jacques Rousseau. On y expérimente les méthodes pédagogiques les plus modernes. Il s’y rend. Il y reçoit le meilleur accueil. Il restera en Suisse toute sa vie. Il commence une analyse et, tout en continuant à enseigner, va devenir rapidement un psychanalyste reconnu.

Baudouin est révolté par son époque. La boucherie de 1914 en fait un pacifiste convaincu, comme en témoigne sa correspondance nourrie avec Romain Rolland, avec qui il partage notamment une même passion pour Tolstoï. La modernité qui se profile l’effraie par bien des traits. Il déteste la vitesse, la superficialité, la violence. Il se défie de nouveaux phénomènes comme l’automobile, le tourisme ou le sport qui commencent déjà à envahir le monde. Il veut rester proche de la nature, à l’image de Rousseau. Une bonne partie de ses lectures se fait en marchant sur les sentiers*! Pourtant, Baudouin n’est pas un conservateur. Il tient à distance égale la morale ancienne et l’amoralité nouvelle dont il constate les ravages symétriques sur les patients qu’il reçoit. Il veut échapper aux catégories qu’elles soient professionnelles ou idéologiques. Il se veut libre.

Ses livres s’en ressentent. Une de ses premières qualités est la clarté dans un domaine, la psychanalyse, où le vocabulaire dresse trop souvent une barrière entre profanes et initiés. Cela se manifeste dans celui de ses livres qu’il faut lire en premier « L’Œuvre de Jung »1. Tout est limpide dans cette présentation d’une pensée complexe. Baudouin expose parfaitement l’importance des « archétypes », ces mythes communs à l’humanité, qui se révèlent dans nos rêves comme dans nos récits et qui nous indiquent quelque chose de la psychée humaine.

Cette idée, au noeud de la discorde entre Freud et Jung, fut d’emblée très combattue car certains voyaient se profiler en conséquence des notions peu engageantes comme celle d’inconscient collectif. Pourtant, la psychanalyse s’est sans doute séparée d’une moitié d’elle-même en rejetant cette conception. Baudouin tente courageusement de lui restituer cette plénitude. Comme il le répètera dans « Psychanalyse du symbole religieux », le mythe nous indique des réalités plus hautes que le concept. C’est le symbole qui est donné d’abord à l’Homme, comme l’ont compris toutes les grandes religions. L’idée rationnelle ne vient qu’après. « En un mot, nous dit Baudouin, ici comme devant tous les objets essentiels, la poésie est plus fidèle que la prose. »

Ce nécessaire réenchantement du monde se poursuit dans tous ses autres ouvrages de psychanalyse avec peut-être une idée directrice : I’unité de l’Homme. Cela signifie : prendre en considération en chaque homme les multiples dimensions de son être, mais aussi reconnaître chez tous les hommes le travail de ces mêmes aspirations.

Il y a en tout homme, plus ou moins refoulée, la force de l’instinct, notamment sexuel. Ici, I’héritage de Freud doit être accepté avec toutes ses conséquences fondatrices. Il y a en tout homme, plus ou moins manifestée, une volonté de puissance. Baudouin, très marqué par Nietzsche, ne peut qu’intégrer aussi cet apport des théories d’Alfred Adler. Il y a enfin en tout homme une quête du « Soi », cette personne intérieure recherchée depuis le « connais-toi toi-même » des Grecs jusqu’au « centre invisible où tout se rattache » de Mounier qui est à la fois être intime et être idéal, parcelle d’une humanité commune ancrée en chaque individu.

Sur ce point, Baudouin prolonge Jung en cherchant dans les grands mythes et symboles de l’histoire humaine des explications de la psychée humaine. On le voit ainsi travailler avec persévérance sur la figure orientale ancestrale de l’équilibre.

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