Nos pensées sont extérieures à notre corps

Posté par othoharmonie le 27 décembre 2013

 

 

« Nos pensées sont extérieures à notre corps », « Le délire est une expérience de libération », « Les mots sont notre asile, mais aussi les murs de notre prison »… Qui exprime ces idées étranges ? Serge Tribolet est psychiatre hospitalier à Paris et docteur en philosophie, spécialiste de Plotin et de Lacan. Ce qu’il dit sort des pistes ordinaires. Il nous met en garde contre le réductionnisme neuro-psychologique actuel – et contre un certain conformisme antifreudien – nous rappelant que le génie de la psychanalyse est d’être une anti-psychologie.

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Nouvelles Clés : Après le Livre noir de la psychanalyse , voilà que le philosophe Michel Onfray « démonte » Freud, comme titrent les journaux. Comment réagissez-vous à cette furieuse attaque antifreudienne ?

Serge Tribolet : Rien de neuf sous le soleil ! Mais c’est toujours « onfrayant » de voir les ravages de l’idéologie. Michel Onfray est un personnage sympathique qui, à mes yeux et surtout à mes oreilles, est plus un militant qu’un philosophe. Mais à trop militer ses causes politiquement correctes (une bonne pensée qui se pense à gauche), il en devient un militaire de la pensée. Il était déjà un templier de l’athéisme, il vient de rejoindre l’énorme armée des anti-freudiens… Ce qui est triste, c’est que cette armée est déjà en territoire conquis. Pour la psychiatrie universitaire, par exemple, la psychanalyse n’est plus bien vue du tout, elle est montrée du doigt, doit se cacher, faire acte de résistance. Onfray rejoint les bataillons de la psychologie, c’est elle qui est au pouvoir. La psychanalyse venait justement montrer une autre voie, une voie de liberté : elle venait sortir l’homme du cadre exigu des « sciences humaines ». L’homme vaut beaucoup plus que tout ce que la psychologie peut en dire. La psychanalyse dépasse ce cadre. C’est pour cette raison qu’elle a toujours fait peur : elle est interdite dans les dictatures, elle est étrangère aux matérialistes, elle est suspecte pour la religion. C’est à tous ces titres qu’elle est géniale. Il n’y aurait pas beaucoup de difficultés à reprendre l’argumentation de Michel Onfray pour faire entendre ce qui s’y cache. Il me fait penser à ces étudiants qui, dans les années post 68, apostrophaient Lacan, en lui lançant les invectives visant à renverser l’ordre du savoir. En réponse, Lacan les invitait à se méfier : de quel savoir parle-t-on ? Où est le pouvoir ? La psychanalyse est plus révolutionnaire que les révolutionnaires eux-mêmes. Son discours est à l’envers même du discours révolutionnaire qui, contre toute apparence, n’est qu’une face cachée du discours du Maître. A ces étudiants, Lacan répondait : « Ce à quoi vous aspirez comme révolutionnaires, c’est à un maître. Vous l’aurez. ». C’est aussi ce que je dis, très respectueusement et chaleureusement, à Michel Onfray.

N.C. : A la fois psychiatre et philosophe, vos champs de recherche sont vastes, mais vous ne semblez pas trop vous intéresser aux spectaculaires avancées neuro-cognitivistes, à toutes ces découvertes qui, de l’EMDR aux neurones-miroirs, révèlent combien nous sommes encore loin de comprendre comment fonctionne notre cerveau.

S.T. : Toute nouvelle découverte est intéressante. Mais je pense que l’actuelle démarche « cognitiviste » – qui occupe tout le terrain médiatique, mais aussi scientifique – constitue une régression. Nous sommes revenus au « tout cérébral », c’est un retour à la période qui précédait la découverte freudienne. De nouveau, la moindre anomalie psychique est ramenée à du neuronal. Et je trouve cela affligeant. Quand j’étais jeune interne en psychiatrie, je me souviens d’une formule qu’avait lancée le professeur Lucien Israël, grande figure de la psychanalyse strasbourgeoise: « Vous verrez qu’ils finiront par redécouvrir l’inconscient. » Cette prévision me plait, mais je crains qu’elle ne soit trop optimiste. Récemment, je participais au jury du concours national de praticiens hospitaliers : constatant, une fois de plus, à quel point la nouvelle génération des psychiatres est très peu sensibilisée à la psychanalyse, j’ai demandé à une brillante interne qui venait d’exposer au jury les préceptes de la pensée cognitiviste: « Que pouvez-vous nous dire de l’inconscient, tel que l’a théorisé Freud ? » Elle m’a fusillé du regard et a fini par bredouiller : « Je pense évidemment qu’il y a des choses dont on n’a pas conscience. » Cette réponse est tout bonnement consternante. Comme si l’inconscient freudien était le « silence des organes » ! C’est aussi fâcheux que de se méprendre sur le mot « sexe » tellement important dans la psychanalyse, et de le confondre avec le génital. Le « sexe » désigne avant tout la séparation – en latin,sexus, c’est le fait de couper.

N.C. : Mais Freud ne rêvait-il pas lui-même d’aboutir un jour à une explication psychosomatique de ses visions ?

S.T. : L’essentiel est ailleurs. Ce que Lacan a génialement su montrer, c’est que la psychanalyse de Freud était une anti-psychologie. Nous vivons aujourd’hui dans un monde entièrement gouverné par la psychologie. Un monde où le Moi tient une place centrale. « Moi qui pense, je suis ». En quelque sorte, toute la psychologie repose sur l’étude de la communication entre le Moi et le monde, entre le Moi et les autres Moi, etc. Alors que, comme dit Lacan, « l’inconscient, ça ne communique pas », ajoutant : « Le grand secret de la psychanalyse, c’est qu’il n’y a pas de psychogenèse. » Ça veut dire quoi ? La psychologie intègre le fait psychique dans une relation de causalité : tel fait est lié à tel blocage, qui remonte à tel trauma, etc. La psychanalyse montre quelque chose de radicalement différent. Le psychanalyste dit en substance à celui qui vient le voir : « Étendez-vous sur le divan et dites tout ce qui vous passe par la tête. Dites même ce qui vous paraît futile ou absurde, soyez sans crainte parce qu’il ne s’agit pas de comprendre ce que vous dites, mais d’entendre, à travers vos mots, quelque chose qui est ailleurs et pourtant déjà là : votre inconscient. » La découverte est prodigieuse, elle est révolutionnaire ! La psychanalyse nous révèle qu’une parole « parle » par nous. Ce n’est pas « Moi » qui parle. Le Moi n’est qu’un faiseur (de mots), il joue un rôle, il truande, il n’est même « pas maître en sa propre maison », selon la célèbre formule de Freud. C’est donc une toute nouvelle logique que Freud a introduit pour appréhender l’appareil psychique. Devant cette nouvelle logique, toute la psychologie s’effondre. Jacques Lacan utilisait des mots durs envers les psychanalystes qui ramenaient Freud du côté de la psychologie. Il les traitait de canailles !

Extrait des écrits de Serge Tribolet

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