Entretien entre l’observateur et l’être
L’observateur :
De mon point de vue, il me semble que la peur est une émotion viscéralement enracinée en moi.
L’être :
Je te propose d’assimiler la peur à un arbre comprenant de multiples racines, certaines récentes, d’autres très anciennes, venant nourrir de nombreuses branches et offrir autant de fruits, plus ou moins mûrs, plus ou moins véreux. Tu peux ainsi percevoir la nature polymorphe de la peur et toutes les faces qu’elle peut prendre.
Même si en tant qu’ego-observateur de la chose observée, tu connais de multiples peurs, une seule peur-racine est en réalité au cœur de l’arbre de la peur et elle est nourrie en permanence par tes pensées et tes désirs (ta nature propre), tes idées et tes conditionnements liées à ton histoire, ton vécu, tes identifications, tes images, tes rôles sociaux et familiaux. Le socle de l’ego-observateur que tu exprimes est la sève même de l’arbre de la peur.
Tu es cette racine-mère !
L’arbre de la peur donne à voir des émotions (branches) effectivement nées de racines ancestrales pré-enregistrées dans la structure corticale du cerveau : peur de mourir, peur d’être noyé, peur du feu, peur de l’éclair, peur de la nuit noire… Ces émotions pré-programmées sont solidement ancrées dans l’homme et déterminent notamment les réflexes immédiats de survie face à un danger imminent. Ces peurs-là sont viscéralement installées en toi en tant que mémoires archaïques prêtes à être activées à la première alerte d’agression externe. D’autres racines liées des situations sensorielles physiques, à l’inconnu ou à l’imaginaire vont développer des nutriments et nourrir ainsi des branches de peurs fondées sur l’illusion, la croyance, la subjectivité.
Ces racines et branches génèrent des fruits que l’on peut assimiler à des réactions nées des peurs et que tu mets systématiquement en place.
Concernant les fruits les plus » pourris « , on peut facilement les identifier. Il s’agit de: la culpabilité, la dévalorisation narcissique, la colère, l’inhibition, l’opposition, la fuite, le combat, la violence, la guerre, le fanatisme… Le constat est là : toute peur de quelque nature qu’elle soit, qu’elle soit physique ou psychologique, peur d’être violenté, d’être agressé, d’être blessé ou de blesser moralement, peur de la solitude, peur de perdre quelque chose, ses biens, son emploi, son prestige, son image de marque ou quelqu’un, sa femme, ses enfants, ses parents, peur de manquer, de nourriture, de temps, peur d’être abandonné, de ne plus être reconnu, peur de ne plus être aimé, engendre ces fruits-là.
L’observateur : Qu’est-ce donc que la peur en réalité ?
L’être :
La peur est une réaction, un scénario créé de toutes pièces par toi-même en réponse à une situation de stress qui peut risquer de déstabiliser ta sécurité physique et/ou psychologique.
L’arbre de la peur se résume donc à une énergie polymorphe se traduisant par une série d’émotions fortes et intenses générant des réponses corporelles et réactives, une sonnette d’alarme qui se déclenche, suite à une menace semblant imminente, un corpus » parlé » de l’intérieur psycho-physiologique pour protéger ta sécurité et veiller sur ton intégrité physique.
L’observateur : Je serais donc moi-même l’arbre de la peur. Ne suis-je donc qu’un être pensé et non un penseur libre ?
L’être :
Nous y arrivons.
Un être pensé ? Non, certainement pas, car l’être est au-delà de la pensée. Une entité pensée ou une existence pensée, oui.
Par » corpus parlé » j’entends l’ego, l’observateur tronqué, filtrant toute son existence, passant au crible toute son existence à travers ses conditionnements personnels… En fait, le corpus » parlé » est le langage de ta personne, tout ce qui est généré par tes croyances-pensées-images-désirs-émotions, c’est-à-dire en réalité par ce » tout toi-même « .
Il s’agit là de ton auto-construction névrotique dont le fonctionnement est répétitif, compulsif, quasiment inconscient, du moins dépourvu de conscience non duelle. L’ego est ta propre construction, ce disque pré-formaté qui te parle, Tu es en effet ton propre langage et c’est ce langage parlé qui te manipule, t’oriente dans les choix, t’impose ses peurs, ses croyances, qui te pense, qui te dicte ses volontés, qui te dit ce que tu dois ou ne pas faire, qui ne te consulte pas, qui agit de sa propre autorité. Tu es tel Pinocchio, un pantin de bois, sans vie mais existant, dont les fils sont tenus par les mains de Gepetto, l’ego.
L’arbre de peur n’est donc que ta propre construction, rien de plus, rien de moins. Il a une existence puisque tu lui donnes cette existence mais il n’a pas d’êtreté. Il existe tant que » toi » existes, et meurt avec l’émergence de l’être qui est libre et dépouillé de toute dépendance.
Au fil des années, tu as édifié ainsi les murs de ta propre prison. Cependant, la forteresse du moi peut se fissurer. Nous aborderons cette question.
Ton fonctionnement égotique est toujours le même, que tu vives ici en France, en Asie ou en Afrique. Il se réplique à l’infini et à satiété avec les mêmes symptômes. En situation de péril imminent, l’observateur que tu es met en place ipso facto, comme par réflexe » parlé » et compulsif inconscient, une observation conditionnée, ce qui génère les trois réponses les mieux appropriées pour » te tirer à bon compte » de ce risque majeur pour ton équilibre personnel: fuite, combat ou inhibition. Tu auras à faire le choix entre ces trois possibilités. Choix est un grand mot car en fait, il n’y a pas de choix. » Tu » n’as pas vraiment le choix. De toute autorité, sans conscience réelle et sans lucidité » face à ce qui est, tu réagis et imposes une tactique d’affrontement face à la peur contractée par ta propre chaîne égotique.
Il fait nuit. Tranquillement installé dans le fauteuil du salon, tu lis la revue du 3ème Millénaire, absorbé dans cette lecture passionnante, dans la chaleur d’un feu de cheminée. Tout est réuni pour être dans un état de quiétude et de joie… Tu es seul et soudain, un bruit sourd retentit, pas très loin, à deux pas…. Le cœur battant, les muscles tendus, les mains moites et la respiration haletante, tu ne peux plus bouger. Tes sens sont en alerte : l’oreille tendue, l’œil tournoyant de la pièce à ce couloir d’où semble venir le danger… Puis en l’espace de quelques secondes, tu constates (visuellement) qu’une lampe a été renversée par ton chien pas très loin de toi. Tes muscles se détendent, ta respiration retrouve sa fluidité, ta gorge se dénoue… Te voilà sauvé, soulagé, prêt même le temps d’une seconde à crier inutilement après ce pauvre chien tellement tu as eu peur. Sécurisé, tu reprends ta lecture. Tu redeviens présent à l’instant, à ta lecture, à ton environnement. Tu souris. Tu perçois même les crépitements du feu dans le foyer, alors même qu’il y avait quelques secondes tu ne les entendais plus. Le bon sens a remplacé l’imagination. La réalité objective et sensible a balayé cette peur infondée, basée sur une impression virtuelle d’agression dans laquelle t’avait » embarqué » » ton ego et t’avait éloigné un moment de l’instant, du présent à ce qui est.
Pourtant, pendant un bref instant, la peur a glacé ton sang comme si c’était ta dernière heure, et ce qui est s’était transformé en » ce qui pourrait être « , ce que » je crois être « …
Voilà comment tu fuis ce qui est et comment un simple bruit sourd t’a éloigné de la présence.
L’observateur : Comment fonctionne la circulation d’informations-réactions ?
L’être :
La plupart du temps, passé l’instant de la première mise en alerte, tu peux être ou non en mesure d’analyser rapidement la situation. Si le danger est confirmé, tu peux être tenté de fuir, de te cacher ou même de lutter lorsque la confrontation s’avère inévitable. Ce mécanisme de défense est d’autant plus efficace que tu mémorises durablement les évènements vécus et que tu veilleras par la suite à ne pas te retrouver dans une situation similaire. Te faire mordre, par exemple, par un chien enracine la peur profondément dans ta mémoire, vif souvenir qui te tiendra à distance de tout autre chien pendant un certain temps.
Le serpent de Joseph Ledoux (1994) illustre également bien l’action de ce circuit information – traitement – réponse. Tu marches tranquillement dans un bois et tout à coup tu vois ce qui te semble être un serpent. La voie courte va activer une réponse quasi-immédiate de ta peur. Tu vas avoir peur. Soit tu t’échappes en courant, soit tu vas chercher à combattre ce » serpent » imaginaire, soit tu restes pétrifié, figé devant » l’animal dangereux » virtuel. Par la voie longue, après une courte latence, l’information arrive à ton cortex visuel (lobes occipitaux) puis à ton cortex sémantique (lobes temporaux). Alors que le cortex visuel ne fait que percevoir et traiter l’objet en question en tant que forme dépourvue de » nature « , le cortex sémantique traite l’objet et lui donne du sens, un sens qui peut être réel (c’est un serpent sans aucun doute) pour toi, ou imaginaire (mais non voyons, ce bâton est un serpent !), en tous cas un sens qui vienne te réconforter.
S’il s’agit bel et bien d’un serpent, ton cortex visuel renforcera l’action amygdalienne et maintiendra les réponses corporelles de fuite, de combat ou d’inhibition. S’il s’agit d’un bâton, l’action amygdalienne est freinée et les réponses corporelles s’estompent, attendu qu’en tant qu’observateur tu as pu te raisonner et faire acte de lucidité.
L’action amygdalienne a essentiellement un rôle de survie : il vaut mieux prendre le bâton pour un serpent et agir en toute sécurité plutôt que de risquer de prendre un serpent pour un bâton. N’est-ce pas ?
L’observateur : Pourquoi ai-je peur ?
L’être :
Pourquoi as-tu peur ? Du géranium au crabe, du poisson à la girafe, tu partages cette énergie d’émotion avec toutes les formes sensibles de la création. La peur, émotion ancestrale qui s’apparente à un réflexe de réaction face à une insécurité d’ordre vital, vient de la nuit des temps, remarquablement bien conservée dans ton cerveau par l’évolution au fil des millénaires. Elle offre aux espèces un moyen d’adaptation à leur environnement, par exemple typiquement en fuyant un prédateur, et joue ainsi un rôle fondamental pour leur survie. Elle prévient du danger, étant alors salutaire dans ce cas. Que ta peur soit panique ou petite frayeur, elle est chez toi tout en nuances et ne s’exprime pas seulement dans des situations dangereuses pour ta survie. Elle accompagne aussi ton quotidien dès que ta sécurité ou ton bien-être sont compromis. C’est bien souvent l’estomac noué que tu affrontes la solitude, la peur de mourir, l’inconnu, l’étranger, les araignées, les bandes de » voyous » circulant la nuit, l’obscurité dans une cité, la nuit dans le métro ou dans cette rue déserte, un entretien délicat ou tout simplement encore un discours à tenir en public.
Ta peur est partout et les ramifications et fruits de son arbre sont si multiples et variés.
L’observateur :La peur ne se résumerait donc qu’à une simple circulation entre une stimulation sensorielle et l’amygdale ?
L’être :
Le processus de circulation et d’installation du fonctionnement de la peur dans tes corps physique, émotionnel et mental, est bien plus complexe. On peut parler de véritables chemins de la peur.
Les physiologistes ont en effet établi que l’énergie de peur prend naissance dans le cerveau au niveau de l’amygdale. Comme tu peux le constater, cette énergie peut envahir ton corps suite à une information sensorielle inattendue, un bruit sourd et inconnu, une couleur inattendue, une odeur bizarre, une ombre furtive ou une agression, un viol ou des coups… En quelques fractions de seconde, le message d’alarme est acheminé dans les profondeurs du cerveau jusqu’au système limbique, dénommé le cerveau des émotions. Là, dans cette petite structure appelée amygdale va naître l’énergie de peur. On a pu scientifiquement constater qu’une lésion de cette région suffit à supprimer la peur chez quelques patients, ce qui tendrait à prouver que cette glande est le pivot central qui gère le processus d’apparition de l’énergie de peur. Vers elle convergent les deux voies cérébrales qui signalent le danger et qui ont été abordées ici. Quant au bruit sourd qui m’a subitement arraché à ma lecture au coin du feu, faut-il réellement m’en inquiéter ? L’ai-je déjà entendu auparavant ? Et dans quel contexte ? Je vais donc plonger dans mes souvenirs. La voie longue, lente et élaborée va répondre au « justement possible » à ces questions. Elle dirige dans un premier temps l’alerte sensorielle vers le cortex qui attribue un sens au bruit, un claquement de porte ou la chute d’un objet par exemple, puis vers l’hippocampe qui fouille dans la mémoire à la recherche d’une situation similaire déjà vécue. Toutes ces informations confluent enfin dans l’amygdale.
Ces deux voies se déroulent simultanément. Si finalement, la situation ne se révèle pas aussi dangereuse que le craignait mon instinct, le cœur cesse de s’emballer et j’en suis quitte pour une jolie petite frayeur. Si la peur est » justifiée « , le système limbique, par l’intermédiaire de l’hypotalamus est alors activé. Il en résulte une excitation des glandes surrénales, émission de sécrétions hormonales dont la représentante la plus connue est l’adrénaline… Cette émission hormonale ne vise qu’à mobiliser l’organisme afin qu’il puisse répondre du mieux possible à l’agression rencontrée. Ces réponses s’expriment ainsi: le cœur se met à battre plus vite, la pression sanguine augmente et la respiration s’accélère rapidement. Le taux de glucose dans le sang s’élève, ce qui a pour effet de distribuer au cerveau et aux muscles davantage d’énergie pour faire face à la situation.
Par conséquent, tes muscles se tendent, prêts à la course, à l’attaque ou à la paralysie, les jambes tremblent, tandis que ton système digestif, bien moins indispensable en pareille circonstance, ralentit. Par ailleurs tes pupilles se dilatent, témoignage de l’accroissement de ta vigilance ou plutôt de ta concentration. Tous ces organes qui s’activent simultanément produisent de la chaleur. Par conséquent et pour limiter toute surchauffe de l’organisme, la transpiration augmente, faisant parcourir l’échine de longs frissons et humidifiant les mains…
Tous ces chemins de la peur t’appartiennent. Ils incarnent le mécanisme d’apparition de la peur en toi et de toutes tes réponses à celle-ci.
Tu es donc l’observateur » parlé « , le créateur de ta propre peur et en même temps le concepteur et la sève de l’arbre de la peur.
L’observateur : C’est donc ma propre nature égotique qui a donné vie à cet arbre de la peur et le nourrit en permanence. Je ne pourrai donc pas y mettre fin puisque » je suis la peur « .
L’être :
Effectivement, tu es ce que tu bâtis. Ainsi l’observateur ego est-il la chose observée elle-même. Tu es ta propre création mais tu ne peux être ta propre dé-création.
L’éradication de l’arbre de la peur ne peut en effet résulter de ton action car tu es fondamentalement de nature réactive et compulsive. Aussi es-tu noyé dans l’océan tumultueux de tes chaînes de pensées et de désirs compulsifs… Les peurs se succèdent à une allure vertigineuse et se répliquent ainsi par toi-même depuis la nuit des temps. Tu es à la fois le véhicule, le moteur et le carburant mais la vraie conduite n’est pas réalisée par toi, même si tu t’es identifié illusoirement au conducteur… Mais comme tout véhicule, l’usure se fait sentir tôt ou tard et l’abandon de l’autorité et de la toute puissance de l’ego liée à la forme se produit un jour. » Le conducteur » (l’observateur) quitte l’identification à cet arbre-là de la peur et celui-ci s’effondre de lui-même, n’étant plus sustenté ni par les racines alors en putréfaction ni par les branches alors dévitalisées…
L’observateur : La peur peut-elle être engendrée par l’imagination ?
L’être :
Ton imagination est l’essence même de l’ego-observateur. Elle est fertile par nature. Aussi étant enfant vois-tu une forme de loup dans l’obscurité de ta chambre alors que ce n’est qu’un simple vêtement posé sur ton lit. Etant adulte, tu as peur d’une explosion atomique alors qu’un avion proche vient de franchir le mur du son. Cet homme à l’air patibulaire que tu vas croiser sous ce porche dans l’obscurité va certainement t’attaquer. Tu changes de trottoir !
L’imagination joue sa partition sur le registre de l’émotion, engendre une crainte, voire une frayeur ou une terreur-panique. Il suffit de crier » alerte à la bombe » dans le hall d’une gare ou » Il y a le feu dans l’immeuble » pour te voir saisi par la peur. Que s’est-il passé en réalité ?
Ton mental s’est approprié cette information et l’a chargé de sens. Le langage du mental qui te caractérise est essentiellement sémantique. En tant qu’ego-observateur tu ES langage et représentation mentalo-sensori-motrice.
L’observateur : Ne suis-je donc qu’une création mentale ? Une existence illusoire ?
L’être :
Sourires… Espérais-tu être autre chose ? Tu existes vraiment, tout comme ta peur existe mais elle n’est pas ! Exister est une chose, être n’est pas une chose.
Le langage existe mais n’est pas, de par le simple fait de sa nature de concept » sur » la vie. Un concept sur la vie n’est pas la vie. Le mot traduit (d’ailleurs bien incomplètement) la chose qu’il cherche à représenter ou à symboliser, mais n’est pas cela. Le symbole est-il l’essence de l’être ou sa représentation ? La peur est un concept, un leurre, une fantaisie créée par l’ego. De même, le langage qu’est l’ego ne peut tout au plus qu’émettre un parfum bien ténu de l’être.
Effectivement, tu es ce que tu penses, ce que tu ressens, ce que tu crois, ce que aimes ou détestes. Tu es ta peur, tu es ta représentation du monde. Tu es cette existence existant sans êtreté, enchaîné aux modèles pré-formatés de la forteresse de l’ego cimentée par les mémoires, l’histoire, les acquis, les images, les mots, les émotions… dont les murs sont si épais qu’aucune lumière ne peut y pénétrer. Une forteresse érigée sur du sable, prête à s’écrouler, alors même qu’à chaque pan de mur qui s’effondre je me hâte de le reconstruire inlassablement. Que d’énergie gâchée !
L’ego est création mentale. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu es une construction pensée sans aucun penseur libre acteur de son propre changement.
Ecoute plutôt ce qui se passe lorsque tu es envahi par l’énergie de peur. Tu voyages en avion au-dessus de l’Atlantique. Tu entends à mots couverts les mots suivants: » Il paraît qu’un attentat à la bombe est possible en cette période de terrorisme international « . Ces mots résonnent comme un écho insoutenable à l’intérieur de toi. Tu te remémores soudain cet accident inexpliqué de la semaine dernière au-dessus d’un aéroport européen. Les chemins de ton imaginaire se sont tracés d’eux-même une voie dans laquelle la frayeur va s’engouffrer. Il n’en faut pas plus pour que la panique te gagne. Ton avion va exploser. Ca ne fait aucun doute. Il faut que j’envoie vite un message à mes proches pour leur dire combien je les aime. Tu sors la photo de ta famille, envoie un SMS à ta femme…
Que s’est-il passé ? Sentant un danger immédiat, ton ego s’est mis sur le champ en mouvement, a puisé avec la rapidité de l’éclair dans tes mémoires et bases de données corticales, les informations nécessaires à la compréhension-interprétation de ce qui est en train de se passer… alors même que rien ne s’est encore passé !
Très rapidement, tu échafaudes un scénario, un plan de fuite, de combat ou d’inhibition, tout cela simplement à partir de quelques mots identifiés comme représentant un risque majeur d’atteinte à ta sécurité physique.
Tu constates alors que tu n’es que réaction.
Montée d’adrénaline, empoisonnement énergétique des glandes endocrines, paralysie et ou sur-activation des réseaux de libre circulation physico-chimique et ethérique de tes corps (physique et autres). Néanmoins, cette réaction va produire une vent de panique, accompagnée des ingrédients habituels (les fruits de l’arbre de la peur) propres à la terreur : réactions de violence, d’agressivité, d’inhibition ou de prostration, voire réaction de contrôle du stress dans le meilleur des cas et de gestion lucide de la situation.
On a déjà vu des personnes conserver leur sang-froid, sortir de leur egocentrisme, mobiliser leur énergie à sauver d’autres personnes… Durant quelques instants, l’observateur s’est effacé de l’avant-scène, son autorité est tombée. L’énergie de peur s’est » transmutée » en énergie de courage… Les fruits de cet arbre-là se nomment alors: lucidité, perception immédiate, calme, sagesse, action juste. Bien évidemment, il ne s’agit plus de l’arbre de la peur, ici écroulé un instant, mais bien de l’arbre de l’être non soumis à l’autorité et à la toute-puissance de la peur égotique. Cette dernière est momentanément suspendue et se retrouve reléguée à l’arrière-scène.
Le constat habituel est que, du seul point de vue de la conscience égotique, toute peur s’évanouit avec la connaissance et la mise en lumière des causes qui l’ont engendrées, mais elle ne disparaît pas pour autant de l’arrière-plan. En effet, ce n’était qu’une fausse alerte. » Ouf ! j’ai eu peur. Je l’ai échappé belle « .
Que se passe-t-il en réalité ?
La sécurité physique et psychologique étant sauvegardée, l’énergie de peur continue à traverser l’observateur mais n’impose pas d’installation dans la conscience. Il n’y a pas de » saisie » de la part de cette émotion de peur qui transperce alors l’ego en se mettant quelques temps dans l’ombre de l’avant-scène du plan conscient duel de la pensée. La lumière de la conscience non duelle passe à l’avant-scène et ne permet pas cette » saisie « . La peur est toujours là, néanmoins, derrière le voile. Elle s’est temporairement retirée de la conscience, mais elle veille, pas très loin, prête à resurgir à la première occasion dès que ma vigilance et ma présence à l’instant s’émoussent.
L’observateur : Puis-je être libre de toute peur ? Puis-je décréer ce que j’ai créé ?
L’être :
La mouche prise dans la toile d’araignée et terrorisée à l’idée d’être dévorée peut-elle s’en libérer ? Avec un peu de chance…
Seule la mort la libérera de sa peur, c’est certain. Sourires.
N’en va-t-il de même avec l’observateur ?
Tant que l’observateur » observe » la chose observée à l’extérieur de sa propre création, tant que la vision duelle est le mode de fonctionnement de la conscience, aucune liberté n’est possible.
Il n’y a pas de différence entre l’observateur (l’ego) et la chose observée, comme il n’y a pas de différence entre celui qui crée (l’ego) et la chose créée (la peur). L’un alimente et nourrit l’autre et vice et versa.
Le » Je » auquel tu es identifié, ne peut donc mettre fin à la peur. Il ne peut s’en défaire ni en être libre.
» Je suis le monde » nous dit Krishnamurti. Je suis donc la peur, tout comme » je suis » l’amour, la joie, la haine… Je suis cela même que je génère.
L’observateur : Même si je veux être libre de toute peur, je ne peux donc l’être puisque ma nature est peur ?
L’être :
C’est tout à fait cela.
La liberté, de quelque nature qu’elle soit, n’est pas affaire de volition ni de souhait, de volonté ou de désir personnels car elle ne concerne pas la personne. Le masque reste un masque. Mais qui est donc derrière le masque ? N’est-ce pas cela la vraie question ?
L’ego peut-il répondre ou même seulement envisager cette question ?
La liberté ne surgit qu’avec l’attention à ce qui est et l’ego est tout ce que tu veux être sauf attention et vigilance à ce qui est.
Lorsque la conscience née d’un regard déconditionné pointe vers l’Un, il se produit un transfert de cette conscience en la présence non duelle à ce qui est. La peur peut alors circuler et » l’ultime-je » en est totalement libre, car l’énergie de peur ne trouve pas de sphère, de corpus, de coque en lesquels elle peut se poser.
L’observateur : Puis-je entrer en contact avec la peur et l’observer ?
L’être :
Entrer en contact avec la peur, c’est tout d’abord, l’accueillir et non la rejeter comme quelque chose que tu cherches à fuir, quelque chose dont tu dois à tous prix te débarrasser.
Mais » qui » va entrer en contact avec la peur ? Est-ce le censeur, le contrôleur, l’analyste ? Si tel est le cas, le regard sera faussé, travesti, erroné et aucun changement radical à 180° ne se produira. La peur sera toujours là. Elle sera comprise intellectuellement, raisonnée, contrôlée mais elle sera toujours là, tel un poison.
Il te faut renoncer à la rejeter ou à la raisonner. Le mental ne peut être évidemment pas le bon partenaire pour entrer en contact avec la peur.
Il ne s’agit pas d’observer la peur car observer c’est séparer l’observateur de la chose observée. Or les deux sont la même entité !
Il s’agit d’être à l’écoute active de la peur. Mais cette écoute active n’est pas le fait du mental ou de l’intellect, ces deux instruments-là étant réactifs et non actifs. Un instrument n’est qu’un instrument. Est-il possible de te rendre sur Vénus ou Mars en TGV ? De même, le mental est un outil limité à son propre champ d’investigation et ce champ-là répond parfaitement aux besoins de l’ego: analyse, satisfaction des désirs, émissions des pensées, des idées, des concepts, stockage des mémoires, etc.…
Mais sommes-nous ici sur le même plan d’investigation ?
L’observateur : Qu’est-ce qu’écouter ? Dois-je faire un effort ?
L’être :
Écouter ne demande aucun effort. Tout effort implique un conflit entre deux voies opposées et écouter est justement la voie non duelle, bien que le terme de » voie » ne soit pas ici bien appropriée. Tout effort éloigne de l’être et renforce les chaînes de l’ego.
Écoute la peur ! Elle te confie ses secrets et contient les modalités de sa propre éradication. Seras-tu à l’écoute ou sourd à son discours ? Elle te parle. Elle exprime tel un symptôme extérieur, ce qu’elle est » en interne « . Entre donc dans la peur sans peur et laisse-toi pénétrer par cette énergie.
N’aie aucune crainte à l’accepter. Tu as plus à craindre de l’analyse de la peur que de l’énergie de la peur brute elle-même.
Pour une fois, regarde (non pas observe ou analyse) comme si c’était la première fois que tu regardais comment la peur se manifeste. Vois les circuits qu’elle emprunte, les émotions qu’elle fait resurgir en toi. Écoute ce qu’elle te dit, la part d’imagination dans laquelle elle cherche à t’emmener, les sueurs froides qu’elle génère dans ton corps, les accélérations cardiaques qu’elle déclenche, les émotions qu’elle suscite, mais surtout ne fais que regarder d’une vision globale, uniciste, sans te laisser récupérer par l’énergie duelle du mental analytique, sans t’attarder sur tel ou tel aspect, telle ou telle facette de la peur. Ta vision doit être holistique, sans quoi le mental récupère ta conscience et une partition dualiste se rejoue encore.
Regarde le déploiement de l’arbre tout entier de la peur. Savoure les fruits, jouis de ses parfums, de ses senteurs, de ses émanations… Regarde avec joie tous ses chemins, directs et dérivés, toutes les traverses qu’elle emprunte, tous les obstacles qu’elle prend plaisir à dresser devant ta conscience.
Ton regard sur la peur doit être total et embrasser d’un seul regard toutes ses créations, toutes ses racines.
A un certain instant, ce n’est plus la peur que tu regardes. Tu ne regardes plus rien. Tu deviens regard. Ton regard » doit être » désintéressé de tout résultat. Tu n’es que regard. Tu n’es que présence à ce qui est et ce qui est est là. Il n’y a rien d’autre à » faire » car être n’est pas faire, attendre ou vouloir. Aucun changement n’est envisagé. Le regard est lui-même son propre changement. Écouter est un art. Écoutes-tu ? La liberté est écoute à ce qui est.
Dans l’écoute, la peur traverse l’être mais ne s’installe pas car il n’y a pas de lieu d’installation. Il n’y a personne pour se l’approprier. A cet instant-là, la peur n’est qu’énergie au même titre que toute autre énergie. Tu n’es que regard sans personne pour regarder. Quand la peur te traverse sans t’habiter et que le regard est présent, tu es joie.
L’observateur : Une dernière question. Il y a quelques temps, un de mes amis s’est retrouvé accidentellement devant un alligator. Il s’est enfui à toutes jambes. Était-ce de la peur ?
L’être :
Rires. C’était de l’intelligence !
Écrit par Serge Pastor