LA SOLITUDE ET LA MORT
Posté par othoharmonie le 23 mars 2014
Nous avons tenté de discerner les diverses influences qui empêchaient l’Homme de se comporter d’une façon saine et consciente. Influences logées au cœur même des milieux familiaux, sociaux et historiques, et nous avons vu que ceux-ci ne pouvaient pas se poser, comme provenant de facteurs extérieurs à ce qu’est l’Homme dans son ensemble, tant au niveau personnel, que social, historique, voire cosmique. Le prétendu hasard n’est dû qu’à une ignorance des phénomènes et processus qui se vivent dans les profondeurs de l’Univers et dont les mobiles ne sont pas directement perceptibles par notre intellect. Car chaque chose, chaque être porte en lui son histoire, et des milliers de conditions ont été réunies avant de se manifester à un moment donné, dans une situation déterminée, en fonction de diverses interrelations physiques et psychiques sur lesquelles nous reviendrons.
En effet, chaque être, chaque chose, s’anime, se particularise, recélant à l’intérieur même de sa forme, une myriade de fils invisibles qui étendent leurs ramifications au plus caché de leur relief.
Ces milliards de particules infinitésimales qui constituent tout ce que l’Univers comporte de formel, tournoient, vibrent, se mêlent et s’allient dans un jeu de relations subtiles et denses, qui nous déterminent plus que nous nous en doutons, qui nous « pensent » plus que nous pensons nous-mêmes !
Car rien dans cet Univers ne nous appartient, bien que nous tentons arbitrairement, de faire devenir « nôtre » ce qui nous entoure et nous constitue. L’argent, la corruption, les hypocrisies, l’exploitation nous font monnayer un éventail considérable de choses — de l’objet à l’être humain lui-même, et que nous croyons posséder.
Mais celui qui croît posséder s’illusionne.
Nous cherchons même à dominer la Nature, qui ne nous intéresse que dans la mesure où nous voulons en retirer quelque chose, mais malgré toute l’utilisation outrancière que nous en faisons, malgré le gaspillage et notre mépris, nous restons cependant totalement dépendants d’elle. Ainsi, toutes nos manœuvres accaparatrices ne sont une fois encore que des subterfuges de notre Moi, qui par la possession, cherche à se prouver qu’il existe. Si nous tentons de percevoir la signification de toutes ces identifications opérées par notre Moi et ceci sans le recours de l’analyse intellectuelle — nous réalisons que là se trouve la pierre d’angle de son comportement global : sa position face à la Mort.
Tout ce qui se vit autour de l’Homme comme en lui, est conséquence de ce pouvoir d’ « adhésivité » des couches superficielles de la conscience. Celles-ci adhèrent en effet à tout ce qui se présente dans leur champ d’observation afin de les faire devenir siennes et de prendre cette substance que chaque chose manifestée porte en elle, cet élan ultime des profondeurs. Au tréfonds de notre être, profondément enfoui en nous, se trouve le sens du secret, de la découverte intime qui peut faire de nous, si nous l’acceptons, l’instrument lucide et transparent du Cosmos.
Mais chacun continue d’avancer et de stimuler les situations et les alternatives les plus diverses afin d’échapper aux révélations de l’inconnu. Un inconnu source de peur, qui nous impressionne, nous obligeant à inventer une multitude de faux-fuyants et de les ériger en protection.
C’est pourquoi nous nommons, nous référencions, élaborons des systèmes et des catégories, bref, nous accumulons sans cesse ce qui est aux antipodes du Neuf, du Créatif, du renouvellement constant.
L’ombre de la Mort nous conditionne au plus haut degré dans notre vie quotidienne et ceci dès notre venue au monde. Certains la considèrent comme un état intermédiaire. D’autres comme un état définitif. Mais ce ne sont là que des solutions du Moi à des problèmes posés par le Moi, et leurs réponses quoique sécurisantes, sont sans réel rapport avec la chose elle-même. La Mort se présente comme une cassure nette et brusque de la continuité du Moi, dont nous avons déjà constaté l’existence et l’emprise mais aussi son irréalité.
Or le Moi n’a pas la possibilité de vivre réellement ce qui se situe hors de sa sphère spatiale et temporelle. Il est avant tout capital de savoir pourquoi la Mort nous préoccupe tant, ainsi intéressons nous plutôt à l’approche même de la question qu’à sa résolution. Car déjà notre approche de l’existence est elle-même incomplète et fausse. Nous désirons prolonger nos vies, et oublions le plus souvent d’être attentifs à sa qualité pure. N’est-il pas plus merveilleux de vivre réellement, de façon intense et authentique, une passion véritable de la Vie dans ses manifestations les plus simples et les plus émouvantes, au cœur même de l’instant ?
Nous songeons à perpétuer une existence faite de soucis, de routine et de peurs, au détriment de l’intensité de ce qui peut se vivre dans le présent ! Au contraire, nous écartons les valeurs essentielles de l’existence au bénéfice d’un égocentrisme destructeur.
La Mort psychique, intégrale et définitive, peut et doit se vivre à chaque instant, au fur et à mesure que s’élargit cet intervalle entre les pensées et que le Silence nous envahit de son flot d’Amour et de compréhension. En général, nous donnons très peu de nous-mêmes, dans un élan de parfaite gratuité ; nous ne faisons pas confiance à la Vie, car nous n’avons d’elle que la vision de ce que les humanités successives en ont fait : un siège de conflits et de convoitises.
Ce manque de confiance, cette peur de ce qu’est l’Autre, l’Inconnu, le Cosmos, nous pousse à réagir contre eux, sous l’impulsion d’une certaine agressivité, un sentiment sournois de persécution. Nous persistons à nous accrocher à de bien vaines certitudes que nous nommons théories ou enseignements, mais nous ne nous interrogeons pas quant aux questions les plus essentielles, celles qui nous sont les plus proches. Et pourtant, des millénaires de réflexions ont été incapables de nous permettre une approche réelle, une perception intense et lucide des racines mêmes de la Vie. Si la Science effectue de nos jours cette approche des profondeurs de la Matière, elle ne s’accompagne pas hélas d’une libération intérieure correspondante ni d’une lucidité plus vive. De ce fait, l’Univers doit-être « vécu » de l’intérieur, au cœur même de sa substance constitutive, sinon nous risquons de demeurer les esclaves de l’appréhension dualiste de l’intellect, de la relativité de l’Espace et du Temps.
D’ailleurs, nous sommes bien conscients de l’incapacité du Moi à déterminer et à percevoir ce qui est essentiel, livré dans la fulgurance même de l’instant. L’authenticité, le véridique, le Silence et la disponibilité ne se discernent seulement que si notre fragile continuité de surface ne s’interpose plus pour éprouver et interpréter.
La Mort ainsi nous apparaîtra selon des aspects différents en rapport avec la condition intérieure. lus les dépendances, les peurs, les désirs seront nombreux, plus l’approche de cet événement de rupture semblera terrifiant et impossible à réaliser. Nous pensons toujours en termes de comparaisons, de différences et de distinctions, ainsi s’opposent dans une évidence impressionnante, les identifications, possessions matérielles et mentales, au brusque départ, à l’anéantissement qui accompagne l’instant mortel.
Pourtant, si nous vivons avec une réelle intensité et une passion non accaparatrice, ce qu’est l’inconnu, si nous arrivons à traverser le mur des apparences, il nous est donné de découvrir que chaque seconde porte en elle sa part mortelle. Rien n’est constant, ni permanent dans l’Univers ; seules nos mémoires accumulées au sein de la Conscience nous font croire à une certaine constance. La Mort peut apparaître comme un phénomène révoltant si nous nous identifions à ce qui nous entoure comme ce qui nous constitue. Ce n’est qu’en rapport de notre accumulation des choses et des stimulations que la Mort nous effraye. Lorsque se vit le détachement qui est celui du parfait équilibre, physique, psychique et spirituel, la mort et l’existence se noient dans un seul et même mouvement, celui de la Vie sans cesse renouvelée.
EXTRAIT de L’Engagement Spirituel – Conférences données en France, Suisse et Belgique de Gérard Méchoulam aux Edition Etre Libre Bruxelles 1974
Publié dans APPRENDS-MOI, En 2012-2013 et après 2016 | Pas de Commentaire »