Les neurones de la spiritualité
Posté par othoharmonie le 17 avril 2014
Différentes études ont mis en évidence une activité spécifique de certaines régions du cerveau lors d’expériences mystiques. Une piste pour expliquer les révélations de Jeanne d’Arc, Thérèse d’Avila ou nos propres croyances.
Entouré de scientifiques dans un laboratoire d’imagerie fonctionnelle cérébrale, à Philadelphie, aux Etats-Unis, un méditant bouddhiste décrit ce qu’il vient de ressentir en atteignant son niveau habituel de transcendance. « Il y avait une sensation d’énergie centrée en moi, qui s’éloignait vers l’espace infini puis me revenait. Un profond sentiment d’amour. Le sentiment que les frontières autour de moi se dissolvaient ; qu’une connexion s’établissait avec une énergie et un état d’être brillant de clarté, de transparence et de joie. Je me sentais profondément relié avec toute chose. »
Lors de la même expérimentation, une religieuse franciscaine a prié pendant trois quarts d’heure : « J’ai ressenti une communion, une paix, une ouverture. Le sentiment d’être tantôt centrée dans le silence et le vide absolu, tantôt remplie par la présence de Dieu, comme s’il infiltrait tout mon être. »
Minicrises d’épilepsie
La dizaine de participants à l’étude, principalement chrétiens et bouddhistes, ont tous fait état de sensations subjectives comparables, même si leur foi était différente. Lorsqu’ils signalaient le sommet de leur expérience en tirant sur une petite corde, une substance faiblement radioactive était injectée dans leurs veines pour marquer les régions de leur cerveau en activité. Résultat : une signature neurologique spécifique, la désactivation de la zone postéro-supérieure du lobe pariétal, proche du sommet du crâne. Cette région est nécessaire à l’orientation du corps dans l’espace, de soi par rapport aux autres et au monde. Il est possible qu’en la privant de stimulation extérieure – par une concentration intense – elle soit comme « anesthésiée » et induise la sensation de dissolution du soi dans l’espace et le temps décrite par les mystiques (Newberg et Alavi in Psychiatry Research : Neuroimaging n° 106, 2001).
Michael Persinger, de l’Université laurentienne, au Canada, travaille depuis vingt ans sur le rapport entre les activités électriques anormales repérées dans les lobes temporaux et les expériences spirituelles (Perceptual & Motor Skills, US, n° 76, 1993). Il est aujourd’hui persuadé que celles-ci correspondent avant tout à de minicrises d’épilepsie dans les aires spécialisées du langage et des émotions. Freud, déjà, dans une préface aux Frères Karamazov (Folio Gallimard, 1973), établissait un lien entre la maladie épileptique de Dostoïevski et sa préoccupation religieuse et morale. Le même argument a été utilisé pour expliquer les révélations de saint Paul, Jeanne d’Arc ou sainte Thérèse d’Avila. Idem quant à l’immersion presque obsessionnelle – mais si géniale – dans des états modifiés de conscience, qui permettent de vivre des événements sous l’aspect de l’éternité. Par exemple, dans le cas de la madeleine de Proust, où se télescopent passé et présent. Depuis une centaine d’années effectivement, une tendance marquée à la religiosité est décrite chez les malades qui souffrent d’épilepsie du lobe temporal.
Mysticisme électrique
Le docteur Persinger ne s’est pas contenté d’une spéculation historico-clinique. Il a créé un casque électromagnétique, qui permet d’induire une activité électrique anormale dans les lobes temporaux. Certains volontaires racontent qu’à chaque stimulation, ils vivent des expériences étranges, voire « supernaturelles », telle la sensation d’être sortis de leur propre corps et de s’observer de l’extérieur, ou simplement le sentiment de la « présence tangible du divin ». Pour le scientifique, c’est la preuve que les expériences spirituelles sont avant tout la manifestation de dysfonctionnements temporaires dans certaines aires cérébrales, dysfonctionnements qui peuvent être induits par diverses circonstances : stress émotionnel, baisse d’oxygène, hypoglycémie, ou simplement fatigue. Ce serait la raison pour laquelle les rites, qui facilitent les expériences mystiques, utilisent souvent une combinaison de ces facteurs. Exemple : la flagellation chrétienne ou les pratiques solitaires des moines tibétains dans les montagnes de l’Himalaya.
Un professeur de psychiatrie spécialisé dans le traitement par électrochocs tirait de ces observations une conclusion lapidaire : « Au fond, la transcendance mystique se résume à une petite décharge électrique du tronc cérébral. Et dire que depuis cinquante mille ans, les hommes s’égorgent pour ça… » Pour lui, comme pour beaucoup de scientifiques, « Dieu » et la transcendance sont une émanation du cerveau de l’Homo sapiens ; une hallucination à laquelle les neurones sont réceptifs, et autour de laquelle les humains ont créé des systèmes de pensée plus ou moins rationnels pour la justifier. Une conclusion logique et tentante. Surtout pour nos esprits matérialistes, beaucoup plus à l’aise avec ces données observables qu’avec l’idée d’une présence immatérielle, que nos instruments ne peuvent percevoir ni objectiver. En effet, pas d’enregistrement de Dieu, pas de trace sur papier millimétré, alors que cette capacité du cerveau à créer une expérience du spirituel, elle, est parfaitement démontrable.
Mais ce raisonnement peut aussi être retourné contre lui-même. La stimulation du cortex visuel évoque des images ; celle du cortex auditif, des sons ; celle du cerveau limbique, des émotions. Et cela ne remet aucunement en doute l’existence réelle d’objets à visualiser, de sons à entendre ou de situations à ressentir. Dans un autre registre, on constate chez les consommateurs d’ecstasy une tendance à éprouver une intense émotion amoureuse envers n’importe quel partenaire disponible. Ce produit active donc les zones du cerveau impliquées dans la véritable émotion amoureuse. Mais l’existence de telles zones et le fait qu’elles puissent être stimulées ne remettent pas en question l’existence même de l’amour. Une seule conclusion légitime s’impose : notre cerveau est prédisposé à certaines expériences, dont la vision, l’audition, l’amour et… la spiritualité.
Mystère persistant
Nous savons, depuis les travaux de David Hubel et Torsten Wiesel, lauréats du prix Nobel de physiologie et de médecine en 1981, sur le cortex visuel (Nature n° 299, 1982), que les aires cérébrales dont nous ne faisons pas usage s’atrophient. On peut imaginer que les aires de réception spirituelles de beaucoup d’entre nous ont connu le même scénario.
La démonstration scientifique de la propension du cerveau à la spiritualité viendra probablement soutenir le développement en Occident de traditions telles que le bouddhisme, l’hindouisme ou le soufisme, qui apportent une sorte de « technologie » de l’expérience spirituelle. Mais il y a toutes les raisons de croire que le mystère qui persiste au-delà de la science et de la théologie restera essentiellement le même : le cerveau a-t-il créé un Dieu qu’il est apte à percevoir, ou Dieu a-t-il créé le cerveau de l’homme pour qu’il reçoive son message…
La foi et la médecine
Jusqu’à l’avènement des antibiotiques – avec l’efficacité qu’on leur connaît –, la confiance du malade dans le traitement avait toujours semblé essentielle à son succès. Armand Trousseau, un grand médecin français du XIXe siècle, disait même à ses élèves : « Soignez le plus grand nombre de malades possible avec les nouveaux médicaments avant qu’ils ne perdent leur efficacité » ; sous-entendu : «… avant que les malades n’y croient plus. » Pour bon nombre de maladies, nous savons maintenant que « l’effet placebo » – la guérison induite par la confiance – est efficace dans près de 70 % des cas si trois conditions sont respectées : le malade y croit, le médecin y croit, et leur relation est basée sur une confiance réciproque. Et la médecine moderne commence à reconnaître l’existence de l’effet inverse : que le pessimisme peut tuer.
Au-delà de la simple confiance, la ferveur religieuse semble elle aussi induire une meilleure santé générale : moins d’anxiété et de dépression, moins d’hypertension, et une durée de vie plus longue. Jung, déjà, conseillait au fondateur des Alcooliques anonymes d’inclure dans ses fameuses « douze étapes » l’acceptation d’une « puissance supérieure ». Toutefois, quand elle devient excessive, cette ferveur n’a pas que des effets bénéfiques pour la santé. Les témoins de Jéhovah n’ont pas le droit aux transfusions de sang, ni les catholiques au divorce ou à la contraception. Et la culpabilité, sur laquelle les religions prennent trop souvent leur assise, est rarement la voie royale du développement personnel.
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