La tentation du déni
Posté par othoharmonie le 18 mai 2014
Nous nous trouvons dans l’ashram interreligieux de Pipal Tree, à vingt kilomètres de Bangalore, triomphante cité informatique de l’Inde du XXIe siècle. Quelques semaines avant la conférence écologique mondiale Rio + 20 qui doit s’ouvrir le 20 juin sur le thème de « l’économie verte », une centaine d’experts et de militants sont venus du monde entier échanger leurs visions, à l’invitation de l’association Fireflies présidée par le journaliste indien Siddhartha, et des Dialogues en humanité * animés par le philosophe français Patrick Viveret et par Geneviève Ancel, chargée du développement durable à la mairie de Lyon. Il y a là des Australiens, des Népalais, des Italiens, des Sri-Lankais, des Suisses, des Américains… Les trois délégations les plus importantes sont indienne, française et brésilienne, et leurs chiffres convergent vers ce que tout le monde redoute : nous nous dirigerions vers l’hypothèse « forte » du réchauffement global. Commentaire du biochimiste brésilien Emerson Sales (lire l’encadré ci-contre) : « Nous savons que la capacité d’autorégulation de la biosphère s’est enrayée en 1984, du fait des activités humaines. Treize ans après, à Kyoto, les Etats s’étaient engagés à faire baisser leurs émissions de CO2 de 5 % d’ici 2020. Ils n’y parviendront pas alors qu’il faudrait faire passer ce chiffre à 85 % d’ici 2050 ! Préparons-nous donc au pire. »
Toute l’humanité est concernée, mais à court terme, les premiers à souffrir, ou à mourir, seront évidemment les plus défavorisés. Le problème est si énorme que le déni est une forte tentation. Le très pince-sans-rire John Clammer, chargé d’explorer les effets culturels du chaos climatique pour l’Institut de la soutenabilité et de la paix de l’université des Nations unies, nous invite à lire « Effondrements », de Jared Diamond (Folio, 2009). Ce biologiste évolutionniste américain a plongé dans l’histoire pour comprendre comment des sociétés humaines avaient déjà pu « décider de disparaître ». Comment ? Dans une inhibition fébrile, face aux dangers qu’elles voyaient pourtant arriver de loin…
Pays du sud et durs à cuire
La fresque est sombre. Qu’est-ce qui explique alors que je sois revenu de ces Dialogues de Bangalore plutôt regonflé d’espoir ? Trois raisons. La première est la confirmation d’une incroyable floraison d’initiatives locales, écologiquement intelligentes, que prennent les sociétés civiles, dans le monde entier, parfois au sein de populations très défavorisées. Comme les participants aux forums sociaux mondiaux depuis 2001, ceux des Dialogues voient là un « localisme » dont la force contrebalancerait celle de la mondialisation capitaliste (lire p. 68). Que ce phénomène se produise surtout dans les pays du Sud change la donne planétaire.
La seconde raison d’espérer est que les acteurs de ces initiatives sont plutôt des durs à cuire – beaucoup d’ex-révolutionnaires marxistes – qui ont traversé de nombreuses épreuves et désillusions et parlent aujourd’hui à partir, non pas de projets, mais de dix, vingt, trente ans de pratique, souvent réussie.
Quant à la troisième raison, elle aurait plu aux prophètes visionnaires de l’écologie, de Henry D. Thoreau à Ivan Illich, d’Elisée Reclus à Rachel Carson, de Gandhi à Ernst Schumacher : bien que venus d’horizons philosophiques variés, la quasi-totalité des participants à ces Dialogues affirme que le cœur de la crise n’est ni écologique, ni économique, ni politique, mais spirituel. Ce sont nos valeurs profondes qui sont en jeu, nos raisons et façons de vivre. Dire que la terre est sacrée n’est pas une parole en l’air. Sans elle, nous n’existerions pas. Cela implique de notre part une conversion de vie radicale que, pour la plupart, nous n’avons pas encore accomplie – dans le sens d’une plus grande frugalité, cela va de soi. Et donc de plus de temps de vivre, de plaisir, de solidarité, de joie.
* La suite, du 6 au 8 juillet, à Lyon : www.dialoguesenhumanite.org
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