Les Hippies de la forêt
Posté par othoharmonie le 18 mai 2014
Les chimpanzés forment une société dictatoriale et xénophobe, avec des mâles dominants qui règnent sur les femelles, se livrent à des guerres, fomentent des complots et usent de tromperie pour détrôner leurs rivaux. Les bonobos, eux, ont inventé une société non violente et égalitaire, s’appuyant sur un système hiérarchique sans dominant ni dominé. Leur ciment social est l’amour pratiqué de façon assidue et multiforme. La gentillesse des mâles envers les femelles, typique de l’espèce, favorise une relation égalitaire entre les sexes. « Faites l’amour, pas la guerre » semble être la devise de ces hippies de la forêt. Un langage de paix qui porte ses fruits : il est rare que ces créatures d’une sensibilité et d’une douceur extraordinaires (tous les éthologues s’accordent sur ce point) adoptent un comportement belliqueux ou jaloux.
« Les chimpanzés résolvent les questions sexuelles par le pouvoir, les bonobos les questions de pouvoir par le sexe,
explique Frans de Waal, directeur du centre de primatologie Yerkes, à Atlanta, aux Etats-Unis, mondialement connu pour ses travaux sur les deux espèces. Chez les bonobos, les conflits ne prennent jamais d’ampleur : l’activité sexuelle se substitue à l’agressivité. Comme source de plaisir d’abord, mais aussi comme tactique subtile pour apaiser les tensions liées à la nourriture, obtenir une faveur, un épouillage. Un peu comme les couples qui font la paix sur l’oreiller après une dispute. »
Dans la lignée de Diane Fossey ou Jane Goodall, de Waal bouleverse tranquillement notre vision des grands singes – et, par la même occasion, des millénaires de pensée philosophique. « Que la vie sociale de l’un de nos plus proches parents soit pacifique et égalitaire apporte un démenti à l’idée si répandue que nous provenons d’un lignage assoiffé de sang, animé d’un désir irrépressible de triompher les uns des autres, dit-il. Une preuve que le singe en nous n’est pas seulement un tueur. Ce n’est pas parce que la sélection naturelle est un processus d’élimination cruel et sans pitié qu’elle doit produire des créatures cruelles et sans pitié. Elle favorise les organismes qui survivent et se reproduisent. Or, ces derniers peuvent propager leurs gènes en devenant moins agressifs, plus coopératifs. C’est ce qu’ont fait les bonobos. »
Le sexe comme une alternative à l’hostilité. Pour perdurer, les bonobos ont choisi la voie du Kama Sutra. Le nouveau gardien du zoo de San Diego s’en souvient. Pas encore initié aux mœurs du Pan paniscus, il avait accepté un jour d’être embrassé par Kevin. Il a failli tomber à la renverse quand il a senti la langue du singe dans sa bouche. Ce french kiss n’était pour le primate qu’une marque d’amitié, le b.a.-ba de l’amour bonobo qui se pratique en toute saison, sans tenir compte des périodes d’ovulation, à deux ou en groupe, entre partenaires de sexe opposé ou non (Frans de Waal parle de « pansexualité » pour dire qu’ils sont ouverts à toutes les relations). Et les bonobos adoptent les positions les plus variées, y compris celle du missionnaire longtemps considérée comme propre à l’homme : massage croupe contre croupe ou ventre contre ventre, masturbation, fellation, long baiser mouillé ou encore une sorte d’« escrime pénienne » qui, en Arabie saoudite, vaudrait aux mâles qui jouent à ce frotti-frotta libertin d’être décapités. Maîtres de la communication érotique, les bonobos ont un langage constitué de plus de vingt gestes et vocalisations distinctes pour indiquer leur désir de copuler ou de s’embrasser. Car les sons émis, comme leurs expressions faciales ravies, ne laissent aucun doute : il s’agit bien de plaisir. Y compris chez les femelles qui atteignent régulièrement l’orgasme et dont la sexualité est non reproductive puisqu’elles ne mettent un petit au monde que tous les cinq ans.
Les bonobos seraient-ils obsédés ? Loin s’en faut. Le sexe, dans leur espèce, fonctionne comme un ciment social. Quand deux mâles se battent, une femelle s’interpose et semble dire : « Bon, les machos, on se calme, venez me faire l’amour et vous verrez, vous serez plus détendus. » Chez ces stakhanovistes du sexe, capables d’aligner huit à dix coïts quotidiens, les compétions entre mâles pour avoir accès aux femelles sont ainsi évitées, de même que les guerres entre communautés. Lorsqu’ils se rencontrent, les groupes se mêlent sans se combattre. Au début, chacun fait un peu son cinéma, les mâles traînent quelques branches pour impressionner l’étranger. Mais très vite, tout le monde se mêle, s’enlace, s’accouple. Le bed-in de John Lennon et Yoko Ono, en signe de protestation contre la guerre du Vietnam, n’avait d’autre message.
L’homme, un singe bipolaire
« Les bonobos se comportent comme si le contact érotique était la chose la plus normale qui soit pour apaiser les corps et les esprits, assure de Waal. Une activité parmi d’autres qui pimente brièvement, mais fréquemment, la vie sociale. En un rien de temps, ils passent de la nourriture au sexe, du sexe au jeu, de l’épouillage à un baiser, et ainsi de suite… »
Avoir deux proches parents, chimpanzés et bonobos, formant des sociétés si différentes, est fort instructif. D’un côté singes guerriers, de l’autre créatures pacifiques et érotiques. Nous sommes des singes bipolaires, dit de Waal. Alors pourquoi ne pas privilégier la bonobo attitude qui sommeille en nous ? Après tout, faire l’amour toutes les soixante-dix minutes dans le cadre d’un doux matriarcat, il y a pire comme programme…
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