Les Chercheurs de Vérité
Posté par othoharmonie le 4 juin 2014
Se méfier de l’opinion
La première chose à faire pour le chercheur de vérité, c’est ne pas être dupe de l’impression première : l’opinion, c’est l’ennemie de la science. S’il arrive que les deux disent la même chose, c’est toujours l’effet d’une coïncidence, et pour des raisons diamétralement opposées. L’opinion ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.
Surmonter l’obstacle
Mais l’opinion est une condition de la connaissance : c’est en surmontant nos mauvaises habitudes de pensée que l’on parvient à la science véritable. Ainsi, le réel n’est pas la représentation qu’un sujet peut en avoir, mais surgit de l’aptitude à surmonter nos préjugés sur lui, pour accéder à ce qu’ils dissimulent. Le progrès scientifique n’est pas un chemin harmonieux, qui va, sans encombre, des perceptions sensibles aux concepts, mais un processus discontinu, qui surmonte l’obstacle des impressions premières pour accéder à la connaissance objective.
Laisser grouiller les microbes
Néanmoins, pour rompre avec l’illusion, il faut, non pas la balayer d’un revers de la main, mais comprendre la logique de son déploiement. « Il n’est pas question de se rallier aux chevaliers de la Table rase, ces philosophes qui se font mérite de tout recommencer, de s’affirmer par un commencement absolu. » La méthode de Descartes aseptise le mouvement par lequel on se tourne vers la science. Et prive la raison de la dynamique que donne la compréhension des erreurs initiales. Descartes oublie qu’il n’y a pas de sujet pur, alors que Bachelard laisse « grouiller les microbes » et s’intéresse à nos erreurs.
L’illusion : vouloir se passer d’illusions
De fait, pour le philosophe poète, l’eau, l’air, la poésie et le feu n’ont pas moins d’intérêt que la science elle-même, puisqu’ils en livrent en quelque sorte la préhistoire. Bachelard est l’adversaire de ceux qui cèdent à une conception naïve et magique du réel, mais aussi de ceux qui méprisent leurs émotions, pour s’installer d’emblée dans la science. Pour bien connaître la nature, il faut se défaire de ses opinions, de ses rêves, de ses illusions, mais pour ce faire, il faut les examiner. La connaissance est d’abord connaissance de la méconnaissance. Aucune erreur ne mérite l’anathème, l’illusion est de penser qu’il faut se passer d’illusions pour commencer à penser. Loin d’opposer sommairement la science et la poésie, Bachelard prend le risque de « les unir comme deux contraires bien faits ».
Dormir éveillé
Le rêveur n’est que l’ombre de lui-même ; l’homme éveillé, à l’inverse, est sourd aux hallucinations de l’imaginaire… Entre ces deux états, entre le songe oublieux et l’abstraction rationnelle, entre l’inconscient opaque et la « surconscience » diaphane, il y a la rêverie, ce juste milieu du savoir humain, qui menace, à chaque instant, de s’évaporer en rêve ou de se condenser en savoir objectif, mais qui révèle à la fois le monde tel qu’on l’imagine autant que les mécanismes qui nous font l’imaginer ainsi. Ce qui entrave la connaissance est aussi ce qui la rend possible. Le rêveur, que Bachelard appelle « dormeur éveillé », devient ainsi la figure, par excellence, de l’homme total, diurne et nocturne à la fois, celui par qui la science trouve peut-être le chemin des cœurs.
L’homme qui aurait l’impression de ne se tromper jamais se tromperait toujours.
« C‘était un soir d’hiver, au coin du feu, dans un hameau normand. Recroquevillé sur le canapé de cuir qui faisait face à la cheminée, le menton posé sur les genoux, et l’oreille attentive au sifflement du bois, je me laissais aller à la douceur d’un rêve éveillé, né des braises, du suintement des bûches et de la cendre chaude.
C’est alors que mon père prit dans la bibliothèque un exemplaire de La Psychanalyse du feu et me le mit entre les mains. L’émerveillement fut immédiat. Les premières pages étaient comme la répétition enchantée de ma propre rêverie. Au feu du hameau se juxtaposait, sans le remplacer, l’âtre dans lequel le philosophe raconte que sa grand-mère faisait cuire tout ensemble les pommes de terre, la soupe, les œufs…
J’étais devenu moi-même un peu du petit qui croyait manger du feu en dévorant une gaufre. C’est à Bachelard, décrivant dans ses détails une émotion qui était pourtant « la mienne », que je dois ma première expérience littéraire. Quelques années plus tard, j’appris avec lui que l’on pouvait être à la fois scientifique et poète, et qu’il existait des foyers chaleureux où l’imaginaire et la connaissance, le plaisir et le sérieux, le cœur et la raison faisaient bon ménage » .
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