Entretien avec Jean-Marie Pelt
Jamais notre planète n’a autant souffert. Jamais l’espèce humaine, à travers son histoire, n’a exercé un effet aussi dévastateur sur la nature. Rencontre avec Jean-Marie Pelt, professeur de biologie végétale et de pharmacologie à l’université de Metz et président de l’Institut européen d’écologie.
Pourquoi, à l’aube du XXIe siècle, l’homme en est-il arrivé à une telle situation ? Comment expliquez-vous cette évolution dangereuse pour le sort de l’humanité ?
Je pense que ce XXe siècle a été marqué par trois totalitarismes – le fascisme avec Hitler, le communisme avec Staline et la conversion à la fin du siècle à l’ultra libéralisme américain, véritable totalitarisme économique. Quand le mur de Berlin est tombé j’ai dit, en toute bonne foi qu’une ère nouvelle s’ouvrait pour l’humanité, que nous serions dégagés du souci imminent d’une guerre et que nous allions pouvoir continuer à évoluer. Ce n’est pas du tout ce qui s’est passé puisqu’en fait nous sommes entrés dans une extraordinaire guerre de consommation. Dans cette économie américaine ultra libérale vous êtes quelqu’un de bien si, à l’instant même où vous allez déposer vos papiers pour créer votre propre entreprise, vous avez déjà gagné un million de dollars la veille. C’est la mythologie de la start-up. Or, ce rythme-là n’est ni le rythme de la vie, ni celui de la nature. Les hommes s’épuisent, la terre s’épuise à force d’être pillée et polluée. Déforestations, surexploitations agricoles, extinctions d’espèces végétales dues à la pollution, tout cela parce que les seuls objectifs de production ont pris le dessus sur toutes les autres considérations. Cet ultra libéralisme est donc très dangereux car il génère des ressources énormes qui ne correspondent pas toujours aux vrais besoins. Il y a un décalage entre les vrais besoins et ceux que l’on crée sans arrêt artificiellement.
Pouvez-vous nous donner un exemple pour illustrer vos propos ?
Regardez, si nous nous étions rencontrés en 1995, à cette époque l’Internet, le téléphone portable, le C.D. rom et la télévision satellitaire ne connaissaient pas le développent d’aujourd’hui, encore moins d’OGM ou de clonage. Est-ce que vous vous rendez compte du rythme tenu en cinq ans ? Alors forcément, à terme quelque chose va se produire. Ce qui est extraordinaire, c’est que l’on parvienne à convaincre les gens que tout cela est indispensable pour eux. Or ce qui est indispensable, c’est la nature, les plantes essentielles à notre survie. Nous sommes très dépendants de la nature, de son bon vouloir et non des technologies. En fait nous avons inversé les choses.
Société de consommation, civilisation du désir et de la séduction. Prenons la voiture par exemple. Lors de la crise du carburant, personne n’a imaginé ou voulu imaginer que les voitures pourraient peut-être consommer moins de carburant. Cela coûterait moins cher et apporterait une réponse aux questions à la fois économiques et écologiques. Peu de temps après se déroule le salon de l’automobile. Si le design et les performances des véhicules sont largement commentés, en revanche pas un mot sur le problème de la pollution qui est à la base de l’effet de serre. Il y a là une incohérence de fond : pas une seule publicité concernant la non pollution ou la faible consommation, mais par contre beaucoup de publicité sur le luxe, le confort, les performances des véhicules. C’est le système qui crée le désir et ceci n’est pas toujours compatible avec notre terre, avec la nature. Au rythme cosmique la nature nous fait des dons, elle nous offre les fleurs, les plantes pour nous soigner, les légumes, mais aussi des paysages magnifiques ou des instants magiques.
Mais alors quels sont, à l’heure actuelle, les principaux dangers qui menacent notre planète ?
D’une façon réaliste, ils sont nombreux, mais retenons sur le plan économique le libéralisme tel qu’il fonctionne aujourd’hui et sur le plan des priorités écologiques, les bouleversements climatiques ainsi que la génétique. Bouleversements climatiques parce que, avec l’effet de serre, nous sommes en train de dérégler un système que nous ne pourrons plus régler. Cet effet de serre qui préoccupe tant les scientifiques entraîne un réchauffement progressif de la planète dont il est difficile de mesurer les conséquences.
Quant à la génétique, l’homme joue à l’apprenti sorcier. Jusqu’où va-t-il aller ? La recherche s’emballe car la génétique, à l’aube du XXIe siècle, c’est un peu la quête du graal et puis les scientifiques sont devenus, au nom de la sacro-sainte rentabilité, des techniciens au service des multinationales. Le fait que la science soit devenue dépendante de l’économie et de la politique est quelque chose de très inquiétant. Voilà pourquoi j’ai écrit ce livre qui est un cri d’alerte à la dégradation sans scrupule de notre terre. Quel héritage allons-nous léguer à nos enfants ?
Et pourtant le salut ne réside-t-il pas dans l’homme lui-même qui, malgré tout, ressent un besoin de contact avec la nature ?
Oui, vous avez certainement raison. Témoin cet engouement pour le jardinage qui, dans l’esprit des gens, est devenu aussi important qu’internet, sauf que le jardinage n’est pas médiatisé. C’est un système de compensation face au rythme infernal dans lequel on vit. L’homme ressent cela et a besoin de ces havres de paix. Nous devons donc sensibiliser, informer, former nos tout petits-enfants à la connaissance de la terre et de la nature, leur apprendre à mieux aimer et respecter notre planète. Lorsqu’on envisage d’enseigner à la maternelle les nouvelles technologies, ce n’est pas nécessaire car il n’y aura aucun problème pour que les enfants apprennent celles-ci. Elles font partie intégrante de notre civilisation. Par contre pour la nature c’est autre chose. Nous en sommes complètement coupés. L’ouverture à la nature devrait se faire dès la maternelle et le jardin d’enfants devrait être un véritable jardin. Il est très important qu’un petit enfant voit pousser des fleurs, des radis, des poireaux, qu’il acquiert le sens des rythmes de la terre. Les technologies, il les apprendra automatiquement car elles imprègnent sa vie. Quant à la nature elle est omniprésente et l’on ne peut s’en passer. Alors développons des actions d’éducation et de prévention de façon à ce que l’homme approche désormais la nature avec respect et humilité. C’est de là que viendra notre salut : que l’homme soit à la fois jardinier et gardien de la terre.