Aux côtés des enfants maltraités

Posté par othoharmonie le 28 juillet 2014

 

images (14)Psychanalyste suisse, Alice Miller lutte depuis vingt-cinq ans contre les châtiments corporels – claques, fessées – infligés aux enfants. Un combat repris par le Conseil de l’Europe, qui se mobilise pour leur interdiction. Les enfants humiliés et maltraités ne deviennent pas des monstres, mais tous les monstres ont été des enfants humiliés et maltraités. Devenu une évidence, ce constat n’allait pas de soi quand Alice Miller le formula au début des années 1980.

Petite femme brune au regard pénétrant, Alice Miller marque un avant et un après dans l’existence de ceux qui la rencontrent ou la lisent. Elle-même brimée par des parents meurtris par leur propre éducation, elle trouve refuge dans la peinture (www.alice-miller.com/gallery) et prend conscience de la charge d’angoisse imprimée dans son psychisme par son enfance. Après quelques années d’intense production créatrice, elle se met à écrire pour partager les fruits de sa réflexion.

Dans C’est pour ton bien, l’ouvrage qui fonde en 1984 l’acte de naissance de sa pensée, elle prend pour exemple la trajectoire d’Adolf Hitler : l’origine de sa cruauté serait à situer dans son enfance.

Sa pratique de la psychothérapie l’amènera aussi à explorer sa propre expérience, qu’elle raconte en filigrane dans ses livres, notamment dans Images d’une enfance (Aubier-Montaigne, 1987), autoportrait en mots et en aquarelles, ou Bilder meines Lebens, qui établit un parallèle entre son parcours psychique et artistique.

Son profond désaccord avec les thèses freudiennes au sujet du caractère « naturellement sexué et destructeur » de l’enfant la conduira à rompre avec l’Association psychanalytique internationale. Soutenue par l’Unesco et l’Unicef, sa thèse est aujourd’hui relayée par de nombreux thérapeutes ainsi que par des associations qui militent contre les violences « ordinaires » faites aux enfants (Ni claques ni fessées.org , Vaincre la violence…).

Agée de 84 ans, Alice Miller continue à publier livres, articles et réponses à des courriers de lecteurs pour propager son appel au changement des mentalités en matière d’éducation.

Le mal ne peut pas faire du bien
A l’origine de la violence que l’on s’inflige à soi-même ou que l’on fait subir à autrui, il y a toujours le meurtre de l’âme enfantine infligé aux petits par les adultes. C’est ce qu’Alice Miller appelle la « pédagogie noire », qui brise la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant. La pierre angulaire de ce type d’éducation consiste à faire accepter à celui-ci qu’on « lui fait mal pour lui faire du bien ». Cette idée, développée par Alice Miller dans plusieurs de ses livres, dont Le Drame de l’enfant doué et C’est pour ton bien, met en relief le douloureux conflit intérieur que vit l’enfant : il souffre de la conduite de ses parents, mais l’accepte par amour pour eux.

 

Le droit de ne plus aimer ses parents 
S’appuyant sur les parcours de Dostoïevski, Virginia Woolf ou Arthur Rimbaud, frappés d’épilepsie, de dépression ou de cancer, Alice Miller défend l’idée qu’il existe une relation irréfutable entre le manque de « nourriture affective » et les maux dont notre corps souffre à l’âge adulte. Avec le temps, les émotions réprimées dans l’enfance (par peur des punitions) se transforment en maladies et dépendances diverses. Pour rompre ce cycle malheureux, la thérapeute préconise de briser les interdits, et en particulier de nous autoriser à ne pas aimer nos parents. Tout comme les victimes doivent cesser de trouver des circonstances atténuantes à leur bourreau, les enfants ont le droit de rompre avec le commandement biblique : « Tu honoreras ton père et ta mère. » Le thérapeute, un « témoin éclairé » « Nous bâtissons de hautes murailles pour nous protéger de la douloureuse histoire de notre propre enfance. Il nous faut abattre ce mur du silence, en nous-même et dans le monde qui nous entoure, retrouver l’enfant méprisé, abandonné, trahi que nous étions jadis. Nous devons apprendre d’où viennent nos souffrances, et que l’on peut en guérir. » Pour ouvrir les yeux sur ce que nous avons vécu enfant, nous avons besoin d’un « témoin éclairé », un thérapeute conscient des répercussions des carences affectives précoces. Ce principe d’empathie est à la base de la pratique thérapeutique d’Alice Miller. En nous aidant à ouvrir les yeux, ce témoin éclairé vient à bout de notre « cécité émotionnelle ».

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Extrait
Revenant sur sa propre histoire, Alice Miller montre combien on peut souffrir en essayant en vain de combler les attentes de ses parents. « Je ne dois aucune reconnaissance à mes parents pour m’avoir donné la vie, car je n’étais pas désirée. Leur union avait été le choix de leurs propres parents. Je fus conçue sans amour par deux enfants sages qui devaient obéissance à leurs parents et souhaitaient engendrer un garçon, afin de donner un petit-fils aux grands-pères. Il leur naquit une fille, qui essaya, pendant des décennies, de mettre en œuvre toutes ses facultés pour les rendre heureux, entreprise en réalité sans espoir. Mais cette enfant voulait survivre, et je n’eus d’autre choix que de multiplier les efforts. J’avais, dès le départ, reçu implicitement la mission d’apporter à mes parents la considération, les attentions et l’amour que leurs propres parents leur avaient refusés. Mais pour persister dans cette tentative, je dus renoncer à ma vérité, à mes véritables sentiments. J’avais beau m’évertuer à accomplir cette mission impossible, je fus longtemps rongée par de profonds sentiments de culpabilité. Par ailleurs, j’avais aussi une dette envers moi-même : ma propre vérité – en fait, j’ai commencé à m’en rendre compte en écrivant Le Drame de l’enfant doué, où tant de lecteurs se sont reconnus.

Néanmoins, même devenue adulte, j’ai continué des décennies durant à essayer de remplir auprès de mes compagnons, mes amis ou mes enfants la tâche que m’avaient fixée mes parents. Le sentiment de culpabilité m’étouffait presque quand je tentais de me dérober à l’exigence de devoir aider les autres et les sauver de leur désarroi. Je n’y ai réussi que très tard dans ma vie. Rompre avec la gratitude et le sentiment de culpabilité constitua, pour moi, un pas très important vers la libération de ma dépendance à l’égard des parents intériorisés.

Mais il en reste d’autres à franchir : celui, surtout, de l’abandon des attentes, du renoncement à l’espoir de connaître un jour ces échanges affectifs sincères, l’authentique communication, dont j’avais tellement manqué auprès de mes parents. Je les ai finalement connus auprès d’autres personnes, mais seulement après avoir déchiffré l’entière vérité sur mon enfance, avoir saisi qu’il m’était impossible de communiquer avec mes parents et mesuré combien j’en avais souffert. C’est alors seulement que j’ai trouvé des êtres capables de me comprendre et auprès desquels il m’était permis de m’exprimer librement et à cœur ouvert. Mes parents sont morts depuis longtemps, mais j’imagine aisément que le chemin est sensiblement plus difficile pour des gens dont les parents sont encore de ce monde.

Les attentes datant de l’enfance peuvent être si fortes que l’on renonce à tout ce qui nous ferait du bien pour être enfin tel que le souhaitent les parents, car on ne veut surtout pas perdre l’illusion de l’amour. » In Notre corps ne ment jamais (Flammarion, 2004).

Nous devons apprendre d’où viennent nos souffrances, et que l’on peut en guérir.

Alice Miller

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