La Foi des pensées de Pascal
Posté par othoharmonie le 26 août 2014
Des « Pensées » de Pascal, Edgar Morin dit qu’elles sont autant de « sources radioactives » l’incitant à des « méditations infinies », à rebours de toutes les simplifications. L’inventeur de la pensée complexe se reconnaît en particulier dans le lien et le combat pascaliens entre la foi, la raison et le doute. Ce décryptage de Pascal en cinq citations est extrait de « Mes philosophes » d’Edgar Morin (Germina, 2011).
• « Travailler à bien penser, voilà le principe de la morale. »
« L’éthique ne peut se satisfaire des bonnes intentions. Elle doit mobiliser l’intelligence pour affronter la complexité de la vie. La conscience intellectuelle est à distinguer, certes, de la conscience morale, mais leur lien et leur inséparabilité doivent être maintenus. “Bien penser” signifie pour moi abandonner les points de vue des savoirs séparés qui ne savent pas voir l’urgence et l’essentiel ; décloisonner les savoirs, voir le tout dans les parties et les parties dans le tout ; s’efforcer de concevoir des solidarités entre les éléments d’un tout ; connaître les contextes et reconnaître la complexité des situations où nous devons agir, comprendre en particulier qu’il y a une “écologie de l’action”, qui peut souvent détourner nos actions de leur sens voulu et les orienter même en sens contraire. »
• « Toutes choses étant causées et causantes, aidées et aidantes, médiates et immédiates, et toutes s’entretenant par un lien naturel et insensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties. »
« Quand j’ai retrouvé cette phrase, j’ai réalisé qu’elle exprimait ce à quoi j’étais arrivé après un long travail. Ainsi je découvre que les pensées maîtresses de Pascal ont germé en moi, que je leur étais fidèle, parfois même sans le savoir, et qu’elles ont éclairé mes élaborations que je croyais nouvelles. Cette formule de Pascal s’oppose à celle de Descartes qui pose la nécessité, dans son “Discours de la méthode”, de “séparer toutes choses et de diviser chacune des difficultés que j’examinerai en autant de parties qu’il se pourra et qu’il sera requis pour les mieux résoudre”. Mais en fait elles sont complémentaires. Nous devons associer les deux démarches et les penser comme antagonistes et complémentaires. Cette formule pascalienne, “toutes choses étant causées et causantes…”, devrait être inscrite en lettres d’or sur le fronton de toutes les universités du monde. Elle rompt avec la causalité linéaire et la pensée simplificatrice qui règnent encore au xxie siècle. »
• « Ô foi, sans le doute, il n’y a pas foi. »
« Pascal fait de la croyance en Dieu un pari. Il se sert de la raison pour montrer les limites de la raison et pour nourrir son doute. Il se sert du doute et de la raison pour dévoiler un ordre de réalité supérieur et inaccessible à la raison. Il alimente ainsi sa foi et sa religion de doute et de raison. Le pari est d’une importance considérable, c’est le point réellement fort des “Pensées”. Certes, je n’ai pas compris tout de suite, quand j’ai commencé très jeune à lire Pascal, la vérité moderne et fondamentale du pari. J’ai découvert progressivement que toute foi, toute croyance, non seulement la croyance en Dieu, mais aussi en la Révolution, en l’homme, en la science, en la raison, en l’éthique, en l’amour, est également un pari dont il faut absolument être conscient. »
• « Ni la contradiction n’est marque de fausseté, ni l’incontradiction n’est forme de certitude. »
« Pascal est un fils authentique de Montaigne, qu’il n’a cessé d’admirer et dont il a intégré les idées. Il connaît la relativité de toutes les vérités dans le temps et l’espace. Il a conscience que tout peut être mis en doute, y compris la légitimité du pouvoir des grands, y compris même Dieu, qui ne peut être rationnellement prouvé. Il a utilisé la raison pour montrer les limites de la raison. Il a formulé cet indispensable principe d’incertitude logique. »
• « Quelle chimère est-ce donc que l’homme ? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre ; dépositaire du vrai, cloaque d’incertitude et d’erreur ; gloire et rebut de l’univers. »
« Les pensées anthropologiques pascaliennes sont marquées de complexité humaine : la vraie éloquence se moque de l’éloquence, se moquer de la philosophie est vraiment philosopher, etc. Il a conscience de la dialogique de sagesse et de folie qui caractérise la condition humaine, ne cherchant nullement à minimiser la folie, lui reconnaissant un caractère inéluctable et paradoxal : “Les hommes sont si nécessairement fous que ce serait être fou par un autre tour de folie de n’être pas fou.” C’est ainsi, dans et par les contradictions qui assaillent sans relâche son esprit, que Pascal a reconnu l’inséparabilité de la misère et de la grandeur de la condition humaine. Ce sont de telles phrases, comme aussi celle-ci : “Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même”, qui m’ont permis de concevoir l’idée d’une anthropologie complexe où l’homme est approché comme inséparablement demens et sapiens, et de mettre en relief la dimension irréductible de folie, de démence, d’hallucination, mais aussi de rêves, d’extases, d’emportements amoureux qui nous constitue. »
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