Comprendre que la colère est l’expression de la souffrance
Posté par othoharmonie le 27 septembre 2014
Comprendre que la colère est l’expression de la souffrance la rend non pas plus recevable, mais plus «humaine»
Au même titre que la peur, la tristesse et la joie, la colère est une émotion de base. Chacun a maille à partir avec elle dans sa vie, souvent ou peu. Ce n’est cependant pas une émotion qui a la cote. En effet, si la tristesse est une émotion acceptée par tous, la colère ne l’est pas. Elle fait l’objet d’une réprobation à peu près générale, vu qu’on l’associe à des comportements très souvent blessants à l’égard d’autrui. Et pourtant, il est normal de l’éprouver. Elle fait partie de la palette des émotions, y compris de celles des personnes équilibrées.
Un chemin…
Sa nature et son fonctionnement dans notre vie, la place qu’elle prend ont cependant avantage à être compris. Et il est important que son mode d’expression soit adéquat, c’est-à-dire non violent. En ce sens, elle peut devenir un chemin de progression. Un chemin, oui. Que faire d’autre d’ailleurs, si l’on est colérique ? Et que faire quand on est confronté à la colère d’une personne proche ? La langue a des expressions parlantes pour décrire la colère. Lorsque la colère monte, on dit que la personne «bouillonne», qu’elle est «prête à exploser», qu’elle est «rouge de colère» ! Explosion, donc. Le plus souvent. Explosion difficile à endiguer. Difficile à vivre des deux côtés.
Menacée
La personne colérique est d’abord quelqu’un qui se ressent comme vitalement menacée et injustement traitée. Elle attaque !? Il serait plus adéquat de dire : «Elle se défend». Dans son vécu, son vis-à-vis ne la respecte pas, ou essaye de l’annexer, de l’envahir, de le dévaloriser. Son territoire est mis en péril. Et son territoire, c’est là où intérieurement, elle se sent en sécurité. Quelquefois, il arrive que ce soit très peu de chose qui mette une personne en colère. Mais ce peu est vécu comme un séisme qui bouleverse des bases.
Parents colériques
C’est éventuellement le cas lorsqu’il y a présence d’un parent colérique. L’enfant, et plus tard l’adulte, peut réagir par le biais de ce type d’émotion comme étant la réponse aux situations difficiles. Lorsqu’un bébé ou un enfant est continuellement confronté à un père ou une mère colérique, il a «appris» cette émotion au quotidien.
Compassion envers les colériques…
Carolle et Serge Vidal-Graf, dans leur remarquable petit ouvrage «La colère, cette émotion mal-aimée» [Editions Jouvence], attirent l’attention du lecteur sur la souffrance des colériques. Ceux-ci expriment leur souffrance par la colère, comme d’autres l’expriment par la plainte. Comprendre que la colère est l’expression de la souffrance la rend non pas plus recevable, mais plus «humaine». Car la compassion peut avoir lieu lorsque l’on se rend compte que le colérique ne choisit pas d’être en colère. Il est agi par une souffrance. Or, nous souffrons tous. Et nous souffrons avec nos composantes et notre histoire. On ne souffre pas de façon idéale. On souffre comme on peut. Pas comme on veut.
Se protéger
Mais se protéger est légitime. Se protéger des paroles blessantes, haineuses, humiliantes, qui peuvent être criées durant une colère. Paroles auxquelles il est nécessaire de ne pas répondre. Sinon, une escalade de violence verbale des plus dommageables peut avoir lieu. En colère, on ne peut tout simplement pas couter, possédée par une énergie puissante qui ne laisse pas place à autrui. Cela n’empêche que les colériques souffrent, et beaucoup. Ils souffrent parce qu’ils se sentent injustement traités, d’où leur colère. Mais ils souffrent aussi de s’être mis en colère, ce qui donne lieu à une intense sensation de honte.
Honte et occultation
Qui a connu la honte sait combien elle est cuisante, voire insupportable, car elle touche au sentiment de sa propre dignité. La ressentir, «La repérer», dites-vous, «mais elle est tellement envahissante qu’elle est immédiatement repérable !». Détrompez-vous. La colère n’atteint pas tout de suite le pic du non-retour.
Elle ne projette pas directement la personne dans les cris, les paroles blessantes, voire la violence physique.
Dans le corps…
La colère s’annonce. Elle monte graduellement. Elle est présente dans le corps tout d’abord. Le corps se prépare au combat avec l’adversaire : l’attaque est la seule réponse que l’organisme a trouvé face à ce qui est ressenti comme une menace. Il envoie des doses massives d’adrénaline qui donne l’énergie nécessaire pour une action forte et rapide. Les pupilles se dilatent pour mieux voir. Les muscles c’est avoir honte de qui l’on est. Tellement qu’il arrive que le colérique nie les paroles blessantes qu’il a pu prononcer. Il ne s’en souvient tout simplement plus. L’occultation a lieu car la souffrance de la honte est trop forte. Celle-ci s’accompagne, en outre, d’un sentiment de culpabilité par rapport aux mots injurieux ou aux actes violents commis envers autrui.
Autrui que l’on aime. C’est ça, la bonne nouvelle, que les Vidal-Graf mettent en évidence.
La colère et l’amour ne s’excluent pas. La colère, même récurrente, ne met pas fin à l’amour, pourvu qu’elle ne soit pas niée.
La repérer…
L’essentiel pour vivre la colère sans en être totalement possédé est de la rendre consciente. Il s’agit d’abord de la repérer et de la nommer. Dès que le corps se met à envoyer l’un de ses messages, il est nécessaire d’en tenir immédiatement compte et d’exprimer la cause de ce début d’irritation à autrui. Car si la cause de cette irritation n’est pas exprimée dès son apparition, elle peut dégénérer.
Degrés et modes de la colère
La colère n’a pas un visage définitif dès le départ. Elle se décline sous divers modes et elle a différentes intensités. Il est profitable de les identifier. Et de les identifier précisément, c’est-à-dire avec les mots les plus appropriés possibles. Car une contrariété n’est pas de l’hostilité. On peut acter une différence entre contrariété, frustration, amertume, aigreur, énervement, irritation, exaspération, aversion, hostilité, haine, rage, fureur et enfin rancune lorsqu’elle s’installe pour un long temps. Repérer les signes avant-coureurs de la colère, c’est ne pas attendre que le «vase déborde ». Ne pas attendre qu’il y ait accumulation.
«C’est la goutte qui a fait déborder le vase.» Eh bien non, il est préférable de ne pas attendre jusque-là. Dès que le vase commence à se remplir, il y a danger potentiel …
Des termes précis et concrets
On peut donc, après avoir repéré les premiers signes d’irritation, s’exprimer. Exprimer la cause de la colère, ce qui l’a fait naître, et cela en termes précis et concrets, en décrivant la situation. Et en n’en sortant pas. Pas de «toujours », de «jamais», de «personne», de «tout le monde», et de «chaque fois que…» ! Pas de généralisation. On reste dans l’expression de la cause.
S’exprimer en «je»
Encore faut-il que l’expression soit adéquate. Ici, on ne peut que souligner le bien-fondé de l’expression en «je», comme le met en valeur la Communication Non Violente. Plutôt que de dire «tu as tort, tu m’as traité[e] comme une quantité négligeable, c’est dégoutant, tu es nul[le] !» Mieux vaut dire : «Je ne me suis pas sentie respecté[e], j’ai eu la sensation d’être traité[e] comme une quantité négligeable lorsque tu ne m’as pas offert un verre de vin, alors que tu en offrais un à chaque convive…». Bref, le plus adéquat est de prendre en charge la colère comme étant sa responsabilité. La colère est ainsi exprimée sans injure blessante à l’égard d’autrui. Ceci dit, il ne s’agit pas d’adopter un ton de voix lénifiant. Quand on est en colère, le surplus d’énergie doit sortir. Les propos sont généralement exprimés vigoureusement, avec un ton de voix élevé.
Se retirer
Parfois, la colère monte rapidement. Dans ce cas, la fuite peut être salutaire. Le colérique, s’il sent que son émotion va devenir violente, peut se retirer. Si possible, en exprimant cette nécessité : «Je pars me promener car ma colère monte.» Ceci pour revenir plus tard et exprimer ce qui l’a mis en colère, sans se trouver submergé par elle. Le retrait temporaire, tant du colérique que de celui qui reçoit la colère, est parfois la solution la plus sage.
Que faire avec l’absence ?
Malheureusement, il n’est pas toujours possible de s’exprimer. Supposons que le destinataire destinataire de la colère soit absent, décédé ou qu’une rencontre ne soit pas souhaitée par lui, ou impossible… On peut alors avoir recours à l’écrit en écrivant une «lettre de colère» où la cause de la colère et les griefs sont clairement exprimés. Franz Kafka y a eu recours lorsqu’il a écrit sa fameuse «lettre au père». Cette lettre exemplaire comporte plus d’une trentaine de pages. Elle est émouvante, lucide, extrêmement sincère et détaillée. Franz Kafka avait demandé que toute son oeuvre écrite fut brûlé après sa mort. Il n’en fut pas ainsi, son œuvre fut publiée et la lettre aussi.
Au feu et à l’eau…
Cette lettre connut un destin exceptionnel et qui sait si le témoignage qu’elle offre ne réconforta pas plus d’une personne aux prises avec un père brutal… ? Ceci dit, nous ne sommes pas tous des «Kafka ». La lettre de colère, une fois écrite… il y a une de bonnes raisons de la jeter au feu, de la voir se consumer, ou de la laisser aller au fil de l’eau… car la détruire, c’est aussi laisser aller symboliquement la colère qu’elle contient… Et si l’écriture n’est pas aisée pour certains, il est toujours possible de l’exprimer et de la travailler dans un espace thérapeutique.
De l’utilité de la colère…
Si la colère existe, c’est qu’elle a une utilité. C’est un signal d’alarme strident qui nous signale que «la limite est dépassée» ou va l’être. Lorsqu’on est en colère, c’est qu’on se sent injustement traité, c’est que l’on estime ses droits bafoués. On est utilisé, on est abusé, on est envahi, on n’est pas respecté. «Stop», dit la colère. «Stop, je refuse cela». Pour cela, elle doit être écoutée et prise en compte. En son absence, certaines personnes risquent de s’enfoncer dans la passivité ou l’impuissance à mettre fermement leurs limites. La refouler ne fait qu’en accroître la force inconsciente. Il s’agit aussi de ne pas la subir et la faire subir sauvagement car elle s’avère, dans ce cas, destructrice. On est sur le fil du rasoir. Avec le temps, se modifie-t-elle ? De colérique, devient-on non colérique ? C’est rare, semble-t-il. Mais on peut modifier son rapport avec elle et l’exprimer de façon non violente et sauvage.
Ne pas la nourrir…
Pour Deepak Chopra, et pour le Dalaï Lama, l’accepter est une étape. L’autre étape est de ne pas la nourrir, de ne pas en faire un automatisme. «Notre mental se développe à partir de nos habitudes et plus nous utilisons les centres qui émettent reproches, colère, intolérance et violence, plus leur croissance est favorisée» explique Chopra. Alors, que faire ?
Un processus…
Pour Chopra, il faut construire de façon continue d’autres conditionnements où l’amour est prépondérant. Il s’agit d’«alimenter la moindre raison d’avoir des pensées d’amour». Cette transformation intérieure est à replacer dans un processus, bien évidemment. On ne peut en faire un précepte unique et irréaliste car l’amour ne se force pas ! Il est vrai qu’on peut au moins en avoir l’intention. Bref, ce changement de conditionnement est très lent. Il demande pratiquement toute une vie.
Cette démarche va de pair avec le fait «d’adoucir son coeur et de soigner tendrement ses blessures ».
Traiter sa colère avec tendresse
Thich Nhat Hanh, moine bouddhiste, explique que la colère a droit à être traitée «avec le plus grand respect et la plus grande tendresse ». C’est ce dont Olivia, belle jeune femme de 40 ans, humoristique, intelligente et sensible, engagée dans un processus assidu de méditation bouddhiste, témoigne :
«Je ne savais pas ce que c’était que la colère. Car elle avait été fortement contenue, cachée, occultée. Il y a peu, sans savoir vraiment à quoi j’avais affaire, j’ai commencé à ressentir la colère, à la vivre. Ce fut d’abord très inconfortable, elle se retourna contre moi par divers symptômes. Ensuite comprenant de quoi il s’agissait, pouvant la nommer, j’ai tenté de l’accueillir, d’en prendre soin, de respirer, de marcher avec elle. Un peu comme une maman prend soin de son bébé qui pleure… Cela a permis de l’apaiser, d’en voir les causes.»
Olivia explique qu’elle fit ensuite l’expérience d’en parler en «je» à la personne concernée et qu’elle ressentit l’énergie circuler en elle. L’énergie de la colère ne fut pas détruite mais transformée dans ce cas. On ne peut espérer mieux : développer son attention et sa présence à ce qui survient pour que le rapport
en soit allégé. Mais encore une fois, la règle unique ou l’idéal sont illusoires. A chacun de se frayer un chemin en tenant compte de sa propre réalité, avec la colère, cette émotion significative.
Livres à lire : La colère, cette émotion mal-aimée, Carolle et Serge Vidal-Graf, Editions Jouvence – Cessez d’être gentil, soyez vrai, Thomas d’Ansembourg, éd. de L’Homme.
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