ENSEIGNEMENT DE SAGESSE
Posté par othoharmonie le 16 octobre 2014
À l’issue de la marche méditative, lorsque j’entends la clochette avec laquelle le maître ponctue chaque entretien individuel, je me lève, les mains en gasho, c’est-à-dire jointes à l’orientale sur la poitrine, et attends debout que la personne qui me précède revienne à sa place. Je me dirige alors vers la salle d’entretien. Je referme silencieusement les portes d’un sas intermédiaire avant d’entrer. Je suis impressionné comme toujours par la belle prestance de Maître Takuan Shinto, assis en lotus dans sa robe noire de maître zen, majestueux, impérial, les yeux mi-clos. Salut protocolaire, toujours les mains en gasho. Puis je m’assieds les jambes croisées et j’expose les faits.
Le maître marque une courte pause et, avec un léger sourire, tout en me fixant des yeux, il enchaîne :
– Vous venez de découvrir les premiers frémissements de la Réalité Suprême ! Bien qu’ayant lu quantité d’ouvrages sur le sujet, je me sens toujours aussi ignorant, n’arrivant pas à m’en faire une idée claire. Faisant l’âne pour avoir du son, je l’interroge :
– Pourquoi cette réalité serait-elle suprême ? Quelle est-elle exactement ?
– Elle est suprême parce qu’elle est plus réelle que la réalité que nous percevons. C’est notre nature fondamentale, un trésor que nous portons tous en nous-mêmes, à notre insu. Chaque tradition spirituelle la nomme à sa façon. Pour les Hindouistes, c’est le Soi ; pour les Taoïstes, c’est le Tao ; quant à nous, nous l’appelons notre nature de Bouddha…
– D’accord pour la désignation, mais comment un quidam comme moi peut-il la comprendre ? « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », lui dis-je avec une pointe de témérité et d’ironie.
– Elle ne se conçoit pas, trancha-t-il, elle est au-delà de toute conception…
– Mais enfin, vous devez tout de même bien pouvoir la décrire, la définir avec des mots ?
– Oui, mais uniquement par des négations. Elle est non conditionnée, non relative, non divisée, non composée, non accessible par l’effort. Toute définition fait appel à ce qui est stocké dans notre mémoire, alors que la nature de Bouddha est indépendante de notre mémoire. En ce sens, elle ne peut être ni théorisée, ni conceptualisée. Et cependant, c’est un état éminemment réel, dont la découverte est à la portée de tous.
Entretiens avec le Maître :
Questions-réponses SUR LA MÉDITATION
…Les obstacles sont pour moi toutes les pensées rebelles que je cherche en vain à éliminer, mais je veux que Maître Shinto m’en donne confirmation. Je demande :
« Il faut s’attaquer aux pensées et en particulier à celles qui sont les plus tenaces comme les désirs et les craintes qui nous assaillent et parfois nous effraient ?
Il répond :
– Ce ne sont ni les désirs ni les craintes qui sont mauvais et qui doivent s’effacer, mais ‘la personne’ qui désire et qui a peur. Il n’y a aucune raison de combattre des désirs ou des peurs qui peuvent être parfaitement naturels et justifiés. Le refoulement serait la pire des choses ! C’est la personne qui, dominée par eux, est la cause des erreurs, passées et futures.
Il faut scruter avec soin cette personne et en percevoir la fausseté. Alors son pouvoir sur vous s’éteindra.
– Mais, dans la vie, la personne est toujours présente, comment peut-elle s’effacer ?
– En fait, elle s’efface souvent, par exemple à chaque fois que vous dormez. Dans le sommeil profond vous n’êtes pas une personne consciente d’elle-même et, malgré tout, vous êtes vivant. De la même façon, pendant les heures de veille, si vous êtes vraiment conscient, vous n’êtes plus, là non plus, une personne. Vous êtes comme si vous jouiez un rôle sur une scène de théâtre ; puis, quand la pièce est finie, vous quittez votre rôle d’acteur, vous redevenez une personne. Ce que vous étiez avant que la pièce ne commence, vous le restez quand la pièce est finie.
Considérez-vous toujours comme un acteur en train de jouer sur la scène de la vie. La représentation peut être sublime ou maladroite, mais vous n’êtes pas dedans en tant que personne ; certes vous pouvez y trouver intérêt et sympathie, mais en gardant présent à l’esprit de façon permanente que vous ne faites que regarder pendant que la pièce, c’est-à-dire la vie, se poursuit. »
Je savais jusqu’alors que, dans l’action quotidienne, je devais me concentrer sur chaque geste, quel qu’il soit. C’est la raison pour laquelle le travail manuel (le samou) est si important dans les sesshins. Près de la moitié du temps de sesshin lui est imparti. Mais je n’avais jamais imaginé que le but premier est fondamentalement l’effacement de la personne.
Je retiens cette belle expression « d’être un acteur sur la scène de la vie ». Ainsi tous les actes triviaux
comme manger, faire la vaisselle, balayer… prennent une toute autre dimension. Loin de l’impression habituelle de corvée, ils deviennent des « jeux de rôles », exclusifs de toute distraction. Comme un bon acteur, on ne pense à rien d’autre que d’exprimer au mieux le rôle que l’on s’est attribué dans l’exercice d’une tâche. Sinon on retombe dans ses vieux démons, et… l’on est ailleurs que là où l’on doit être !
A PROPOS DE L’ I LLUMINAT ION
Je demande : « …Maître, j’ai l’impression d’une quête impossible, d’une illumination qui ne viendra jamais.
– Cette attente d’un évènement unique, d’une formidable explosion, ne fait qu’empêcher et retarder votre réalisation. Vous n’avez pas d’explosion à attendre, celle-ci s’est déjà produite au moment où vous êtes né, quand vous avez réalisé que vous étiez un être existant, connaissant, pensant. Vous ne faites qu’une erreur : vous croyez que le monde visible vous est extérieur, alors qu’il n’est qu’une projection de votre psyché. Voilà la confusion fondamentale, et ce n’est pas une nouvelle explosion qui vous en guérira. Vous devez vous penser en dehors. Il n’y a pas d’autre voie… »
A PROPOS DU KARMA
« …Je souhaiterais vous interroger encore sur la méditation. Parfois, des images naissent et disparaissent sur l’écran de ma conscience. Avant, les images se déroulaient en continu, maintenant elles apparaissent de façon très sporadique, détachées sur ce fond d’écran…
– L’écran est toujours là, lumineux, immuable. Certes, des images apparaissent, puis disparaissent suivant un temps plus ou moins long, avant que d’autres apparaissent à nouveau. Pour l’homme qui n’a pas réalisé sa véritable nature, les images apparaissent en continu de manière incessante, formant un film que l’on peut appeler la destinée ou le karma.
– Qu’est-ce qui crée le karma ?
– L’ignorance.
L’ignorance de quoi ?
– De soi-même en premier lieu. Et aussi l’ignorance de la vraie nature des choses, de leurs causes et
de leurs effets. On regarde autour de soi sans comprendre et on a tendance à prendre les apparences
pour la réalité donnant l’impression de connaître le monde et soi-même.
– Comment rompre avec cet état de fait ?
– Commencez par admettre que l’on ne connait rien, c’est le meilleur point de départ. Rien ne pourrait aider plus le monde que d’admettre son ignorance.
Mais reconnaître l’ignorance présuppose la connaissance. Dès que l’ignorance est perçue, elle n’est plus. Tout ce que vous voyez, autour de vous ou en vous, échappe à votre savoir et à votre compréhension. De savoir que vous ne savez pas et que vous ne comprenez pas, c’est là le vrai savoir. Le savoir d’un cœur humble. On peut appeler cela inconscience. On est inconscient de la vraie nature des choses
A PROPOS DE LA RÉINCARNATION
« …Maître, quand un homme ordinaire meurt, qu’advient-il de lui ?
– Cela se passe conformément à ses croyances… à ce qu’il imagine…
En entendant le mot croyances, les conclusions d’Ian Stevenson me reviennent aussitôt à l’esprit : les formes que prend la réincarnation varient suivant les croyances, suivant les religions et peut-être aussi suivant les individus, d’où mon interrogation :
– Chacun aurait donc sa propre croyance sur la question ?
– Chacun imagine à sa façon la vie avant la mort, comme la vie qui la suit… le rêve continue.
Là, je ne peux m’empêcher de rapprocher cette affirmation de l’impression formulée par Frédérique d’avoir tout inventé, d’avoir tout imaginé, comme dans un rêve. Mais ce qui m’intéresse c’est de savoir comment, lui, en tant que maître zen, c’est-à-dire être réalisé, peut-il considérer la chose ?
– Pour vous et pour l’être qui a réalisé sa véritable nature en général, que se passe-t-il ?
– L’être réalisé ne meurt pas parce qu’il n’est jamais né. En lui-même il est libéré de toutes les choses physiques ou mentales.
– Néanmoins vous devez quand même bien admettre la mort, et donc l’existence de vos vies antérieures.
– Jusqu’à ce que je rencontre mon propre maître je savais plein de choses sur le sujet. Maintenant, je ne sais plus rien car j’ai réalisé que toute connaissance n’était que dans notre imagination. Je me connais et je ne trouve en moi ni vie ni mort, rien qu’être pur, non pas être ceci ou être cela, mais être tout simplement… »
Pour en savoir plus : Editions ALTESS
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