Le mythe de la communauté païenne
Posté par othoharmonie le 27 février 2015
L’idée que les « païens » forment une grande communauté est au mieux une Belle utopie, au pire, une cruelle illusion. Il n’y pas de Communauté Païenne. Il y a des communautés, des groupes qui évoluent les uns à côté des autres, avec leurs similitudes et leurs différences. Il y a des païens. Ce n’est que de l’extérieur que nous avons l’impression que tout est merveilleux, que les gens s’aiment et font avancer les choses ensemble, pour le plus grand bien. Imaginez une vitrine avec une étiquette sur la porte. De l’extérieur, tout à l’air harmonieux, intéressant, bien rangé et super chouette. Et puis de l’autre côté, vous vous posez des questions. Vous ouvrez la porte de la vitrine pour y voir de plus près, et là, c’est le drame.
On regroupe souvent les pratiques sous de larges appellations : Le Druidisme, la Wicca, les Asatru, les Khémites, les machins, les trucs, les bidules. En fait, ce sont des termes extérieurs, et il n’y a qu’en étant à l’extérieur de la vitrine qu’on peut les employer, en pensant que ça reflète la réalité de son contenu. La porte ouverte, vous vous rendez compte que, non seulement c’est souvent effroyablement compliqué, mais que en plus, l’immense majorité des objets de la vitrine ne peuvent pas se sentir et qu’il y a une prolifération de groupements, sous-catégories et subtilités. C’est comme dire « les Chrétiens » : Catholiques ? Protestants ? Orthodoxes ?
Et puis : Protestants oui, mais Adventistes du 7ème jour ? Luthériens ? Pentecôtistes ? Presbytériens ? Il n’y a que quand on ne connaît pas que l’on ne fait pas la différence, c’est tellement plus simple de tout simplifier (et que d’avouer qu’on n’y connaît en définitive pas grand chose).
Je suis toujours mitigée quand je lis des critiques virulentes portant sur tel ou tel cheminement spirituel/axe religieux. Pas parce qu’on n’a pas le droit d’avoir un avis, au contraire, mais parce que souvent, j’ai l’impression que plus les avis sont virulents, plus ils masquent surtout une profonde méconnaissance du sujet attaqué. J’ai rarement lu de critiques constructives se présentant comme absolue, d’une part. D’autre part, j’ai l’impression que l’axe de critique est souvent uniquement bilatéral : il y a d’un côté de la ligne, le sujet attaqué et à l’autre bout, la pratique ou l’avis personnel de la personne. Rarement on voit entrer en ligne de compte d’autres types de pensée, d’expérience ou des « comparaisons théologiques complexes » alors que ça permettrait de placer la réflexion sur un angle plus large.
L’axe de pratique le plus souvent attaqué se trouve être la Wicca. Parmi les reproches -justifiés ou non, je m’en fous c’est pas le propos- adressés, il y a « ce n’est pas une spiritualité, ça ne se base que sur des pratiques magiques » et on met en opposition une pratique plus dévotionnelle et mystique. Ok. Dans le postulat énoncé, « la pratique magique » c’est « mal » et la pratique dévotionnelle, c’est « bien » et présenté sans plus de contexte, ou l’exemple, on tient une opposition qui se défend. Tout devient nettement plus complexe si on ajoute un autre axe. Par exemple, allez parler de pratiques dévotionnelles et mystiques sur un forum Asatru à tendance folkloriste, et là, le paradigme va vite se corser : on vous répondra que vous êtes, grosso modo, encore un de ces wiccans new-âgeux / chrétien (véridique). Qui est le lapin en tutu maintenant ? Vous ? Le « Wiccan de base » ? Ou l’Asatru qui dit par ailleurs dans d’autres postes que, en substance, il a peur d’Odin et il préfère pas attirer son attention pour pas crever de mort violente ? Plus on rajoute d’inconnus dans l’équation, plus elle devient complexe et moins on peut faire de catégorisations. (Note par rapport à l’exemple : j’ai eu l’occasion d’éplucher, par une sorte de curiosité un peu maso un forum de ce type et j’ai vu texto ce type de réaction. Je précise folkloriste parce que certains membres de ce forum américain l’étaient, et que c’est d’eux que provenaient les réactions les plus virulentes. Voilà pour le contexte.)
Dans le fond ce n’est pas grave, au pire, c’est chiant, c’est énervant, parfois c’est blessant. C’est surtout un peu triste parce qu’on est mal barrés. Parce que si je comprends ce qui peut susciter tous ces reproches, qui ont très souvent un fond de vérité -que la virulence d’un propos tend finalement à desservir-, vous ne pouvez pas changer les gens, et heureusement quelque part. On est obligé de composer avec toutes les catégories et on n’est pas obligé d’aimer tout le monde, d’être d’accord.
Je pense qu’il y a une seule chose que l’on peut faire si l’on souhaite vraiment un jour une « communauté », si tant est que cela soit possible, si tant est que cela soit souhaitable : APPRENDRE.
Apprendre à connaître les autres religions, spiritualités, les autres sentiers, les autres points de vues. Je pense que c’est important, de ce point de vue là, de faire une distinction entre « son apprentissage au niveau pratique personnel » et « l’apprentissage extérieur ». Apprendre en sortant de son propre cadre. Ne pas se cantonner à ses propres pratiques, ne pas se contenter de se torturer les méninges pour savoir « comment on définirait tel ou tel concept » parce qu’en tant que telle, sans contexte, une définition ne veut rien dire. Une définition peut être établie, mais toujours en gardant à l’esprit qu’elle n’est jamais une vérité générale applicable à tous les possibles. Elle est seulement valable dans un contexte C si une situation S regroupe X aspects.
Par contre, on peut apprendre les différentes religions du monde (‘païennes’ ou non), leurs cadres historiques, leurs évolutions, les cultures auxquelles elles se rattachent. S’intéresser aux différentes traditions païennes (si je puis dire) sans essayer de les travailler à sa sauce pour les intégrer dans sa pratique, sans forcément vouloir être d’accord avec elles, sans gommer ce que l’on aime pas puisqu’ici, apprentissage s’entend au sens d’« ouverture intellectuelle à l’autre ». Pas d’« appropriation/acceptation/compréhension du sentier de l’autre parce que ça j’aime bien et que je veux le même sur ma cheminée. » Cela éviterait déjà beaucoup d’accrochages : je ne fréquente plus les forums aujourd’hui, mais avec le recul, je comprends mieux pourquoi il m’est arrivé de voir certaines situations dégénérer ou de me faire claquer le beignet parce que je croyais que le peu que je savais s’appliquait à tout le monde. Ne partez pas du principe que l’autre voit ce que vous voulez dire ou qu’il pense comme vous.
Plus on connaît quelque chose, plus on tend à nuancer, et avec la nuance, vient la possibilité de conversation, de discussion -sans pour autant avoir pour but de « ranger l’autre à son avis » et de maturation. Parce qu’en se montrant moins catégorique, on tend aussi à être moins gratuitement critique et plus constructif. Cela ne veut pas dire abdiquer son opinion personnelle : on a le droit de ne pas être d’accord avec tout, et le droit de le dire, mais à mes yeux il y a un monde entre dire « nous ne sommes pas d’accord avec cela et nous trouvons telle attitude dangereuse pour X raisons » et dire « on devrait obliger telle personne à fermer définitivement sa gueule. » Malheureusement, dès que l’on parle de communauté, on induit implicitement la notion d’amalgame, et comme de l’extérieur, il ne faut pas se faire d’illusions, nous sommes tous rangés sous l’étiquette de «païens», je comprends que certaines réactions se fassent virulentes, par peur d’être assimilées à telle ou telle frange avec laquelle on n’a rien à voir. (Mais ce genre d’assimilation/généralisation est en fait courante, c’est pratiquement le mécanisme de base par rapport à l’inconnu, notamment dès qu’il est question de religions. Pour le coup, l’étymologie du terme religion est méchamment ironique.)
Personne ne « fera » l’hypothétique communauté païenne de demain.
Et heureusement. Ce n’est pas un groupe, un forum, un truc miraculeusement sorti de terre ou du web qui fera tout rentrer magiquement dans l’ordre. Je pense que la seule réponse, la seule solution, c’est d‘être avant de faire.
Travailler à avoir l’attitude que l’on aimerait que les autres aient avec nous avant de vouloir « fédérer » ci ou ça.
« Pratiquer » avant de chercher comment on définirait sa pratique. Être un peu plus cool et prendre les choses sous un angle moins personnel. Ne pas tout ramener à soi. Accepter et reconnaître ses erreurs. Essayer de réfléchir avant d’écrire et préférer le factuel au personnel. S’étaler moins sur les réseaux sociaux. Trouver le juste milieu entre se laisser marcher sur les pieds et taper un scandale public au moindre pet de travers. Laisser les gens tranquilles si on ne les aime pas et du moment qu’ils ne viennent pas nous chier dans les bottes, ne pas aller chier dans les leurs. De toutes façons, vous ne ferez jamais l’unanimité, quoi que vous fassiez, disiez, pensiez. Quand vous l’ouvrez, pensez que vous l’ouvrez pour vous et laissez votre armure de paladin au placard, ne commencez pas à vouloir parler pour tous les X de France et de Navarre : beaucoup auront juste envie qu’on les laisse tranquille sans les inclure par extension dans un débat dont ils se foutent éperdument.
Retrouvez les articles d’Aranna Renard sur son blog : http://lacailleach.wordpress.com
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