RITUEL de célébration / A la lueur de la CHANDELLE
Posté par othoharmonie le 30 mai 2015
La bougie est allumée dans sa coupe décorative, nichée au creux de la mousse et des aiguilles de pin à même le couvert de la forêt. Assis quelques minutes, nous regardons la flamme prendre et grandir, sa danse reflétée dans le petit bol d’eau à ses côtés. Nous respirons profondément dans le silence du bois. Nos sens s’inclinent afin de toucher le sol spongieux et la roche dure qu’il recouvre; notre souffle s’ouvre au ciel qui nous surplombe, la pâle lumière du soleil d’un début de printemps coule à travers les arbres encore nus. Soudain, à l’ouest, voici un battement d’ailes.
Un pivert fond à travers notre espace sacré et se joint nous, en sautillant jusqu’à la souche pourrissante, juste à quelques pas de notre méditation silencieuse. Comme un seul homme, nous retenons notre souffle, ne pouvant pourtant pas masquer un sourire qui s’élargit. Le petit prêtre de la montagne coiffé de rouge est arrivé. Il bat son homélie d’un rythme syncopé et le tambour évidé de l’arbre mort lui répond. Sans un seul mot, notre rite a commencé. L’auteure Anne Lamott affirme qu’il y a trois prières essentielles : À l’aide !, Merci, et Ouah ! Les théoriciens du rituel, de Durkheim à Turner en passant par Rappaport et Bell ont suggéré toutes sortes de manières de classifier l’activité rituelle.
Une approche commune distingue les rituels instrumentaux des rituels expressifs – en un mot, d’un côté les rituels dont le but est d’accomplir quelque chose, et de l’autre les rituels destinés à communiquer quelque chose. Durkheim a proposé une autre classification binaire : les rituels négatifs (qui séparent le règne humain du surnaturel par le biais de tabous et de restrictions du même ordre), des rituels positifs (qui mettent les êtres humains en contact ou en communion avec le sacré). D’autres théoriciens ont recherché des manières plus détaillées et plus complexes pour catégoriser l’activité rituelle. Bell a proposé six types de bases : les rites de passage; les rites calendaires et commémoratifs; les rites d’échange et de communion; les rites d’affliction; les rites de fête, de jeûne et de festivals, enfin, les rites politiques. Nous pouvons encore affiner ces classifications si nous le désirons. Par exemple, les rites de passage incluent les rites de naissance, de don de nom, les rites de passage à l’âge adulte, les cérémonies de mariage et les rites funéraires, entre autres.
Chacun de ces rites de passage, où une personne passe d’un stade à l’autre de cycle de vie, est la reconnaissance d’une tension entre le biologique et le social, le naturel et le culturel. Lincoln a vu ces tensions exprimées dans un motif de transformations (clôture, métamorphose et émergence), alors que van Gennep y a vu une sorte de parcours (séparation, liminarité, et réincorporation). Chacun de ces aspects peut être perçu comme l’une des dix sept étapes du parcours du héros comme l’a défini Campbell, et reflété dans de nombreux récits mythologiques à travers le monde; en fait, chacune des étapes de Campbell peut être mise en scène comme un rituel, personnel comme social. La liste des nombreuses manières dont les savants ont catégorisé et organisé la multitude désordonnée des formes et des activités rituelles dans la société humaine est presque sans fin. Mais malgré toute sa complexité, je pense que ce sont les trois lois de Lamott, simples et essentielles, que je préfère : À l’aide !, Merci, et Ouah ! Et de ces trois lois, Ouah ! est ma préférée.
Le rituel en tant que célébration Ma spiritualité est davantage tournée vers la célébration que vers l’expiation. Peut-être parce que je ne suis jamais très efficace quand il s’agit de demander de l’aide, même quand j’en ai besoin. Un jour, à l’université, une sandale usée et un bout de tapis mal tissé m’ont envoyé rouler le long d’un escalier – pendant ma chute, alors que mes os se brisaient et que ma peau se déchirait, et que le temps ralentissait jusqu’à durer une éternité, je n’eus pas la présence d’esprit de hurler. Je n’avais qu’une pensée en tête : Alors c’est ça, tomber dans un escalier… Ouah !*
Le monde est un endroit incroyable, même dans son désastre et son indifférence. Mais plus encore quand nous réalisons que cette indifférence apparente est un voile qui peut à certains moments s’écarter pour révéler une réalité intimement interconnectée. Ce battement d’ailes venu de l’ouest nous rappelle que chaque chose participe aux mélodies tortueuses et entremêlées de l’existence, une écologie du sacré.
Voilà le but premier du rituel dans ma vie. Je ne recule pas devant les mots « adoration » ou « dévotion » pour décrire ce que je fais, car je pense que le monde et sa somme d’êtres – les dieux, les chers disparus, les esprits de la terre, et les autres personnes, humains comme non-humains – sont profondément dignes d’amour et de respect. Lors d’un rituel, je prends un moment pour affirmer cet amour par le biais de l’attention et du mouvement, de la poésie dans le domaine des actes, afin de prendre pleinement part au monde autour de moi et à ceux qui le partagent avec moi. | Pour moi, le rituel est une sorte | de don de soi créatif. Récemment, je faisais des recherches sur l’idée de cultus, mot que l’on utilise souvent pour parler d’une forme spécifique de dévotion ou d’adoration tournée vers une déité (ou, dans le catholicisme romain, un saint – comme, par exemple, dans « le cultus de Sainte Anne »). Le mot cultus vient du latin, généralement utilisé pour traduire simplement l’adoration ou la révérence, mais il peut aussi évoquer l’idée de prendre soin et de nourrir. Il est lié à des mots tels que « culturel » et « cultiver ».
Cultus est le participe passé du verbe colere, signifiant « travailler la terre », mais aussi « habiter » et « se déplacer ». en remontant encore plus loin, ce verbe latin vient de la racine indo-européenne *kwell- – « rouler, déplacer, retourner » – qui a engendré une somme impressionnante de mots associés, tels que colonie, collier, cycle, poteau, polir, et même chakra, ainsi que que les mots signifiant roue en vieil anglais, en vieux norrois et en vieux russe. Ramener à la vie cette riche histoire linguistique me fait penser à ce vieux proverbe gallois : « Ce n’est pas en le retournant dans sa tête qu’un homme laboure son champ ». Le rituel n’est pas simplement une attitude ou une intention, tout comme l’amour n’est pas seulement un sentiment. Dans son acception la plus simpliste, le rituel est quelque chose que l’on fait. Un homme ne peut labourer un champ rien qu’en y pensant, il doit aller sur place et se mettre au travail. Toutefois, s’il est pleinement à son labeur et agit avec conscience et une attention pleine d’amour – en un mot, s’il s’y donne de tout son être – alors au moment où il retourne le sol riche sous sa charrue, il le retourne aussi dans son esprit et dans son cœur. Labourer la terre revient à labourer son âme. C’est là l’un des aspects essentiels du rituel de célé- bration. Quand nous allumons une bougie dans notre espace rituel, nous éveillons une flamme au fond de nous-mêmes. Quand nous répandons de l’eau, que nous faisons brûler de l’encens comme offrande, nous nous offrons aussi, pour couler dans la terre ou nous élever en douces volutes de fumée vers le ciel. L’imagination ne suffit pas – le travail exige que nous nous engagions non seulement avec notre esprit et notre cœur, mais aussi avec notre corps.
C’est là la signification originelle de la célébration : un rassemblement, un moment pour être ensemble. Nous en sommes venus à imaginer la célébration comme une occasion de bonheur et de joie, parce que ce sentiment de plénitude que nous trouvons en compagnie de nous-mêmes et des autres nous nourrit et nous rend profondément joyeux. Mais la spiritualité de cé- lébration signifie aussi être pleinement présent dans les moments de chagrin et de souffrance, nous donner totalement aussi bien dans le labeur et la discipline que dans le plaisir et le la joie. La spiritualité de célébration se résume à notre volonté d’être pleinement présents face au monde et à ses dieux. Mais il y a une autre raison pour laquelle il est si important de faire d’un rituel une activité qui engage le corps. Le rituel nous porte au-delà de nous-mêmes et nous met puissamment en phase avec le monde qui nous entoure. Ou plutôt, il nous rappelle que nous sommes toujours en phase avec ce monde et que nous y participons; il restaure en nous la conscience de cette interconnexion. Lorsque nous abordons le rituel avec des intentions pleines d’amour, nous rendant totalement présents et disponibles pour nos dieux et l’univers plus vaste, nous nous ouvrons au possible. Le rituel de célébration est une invitation. L’esprit jaillit de nulle part avec des ailes bruyantes (ou, parfois, cela ne se produit pas et nous nous retrouvons plongés dans le silence inconnu du mystère). Ceci n’est pas qu’une métaphore.
Quiconque pratique depuis longtemps le polythéisme naturel ou quelque forme que ce soit de spiritualité centrée sur la terre sait ce qu’il en est quand un rituel parfaitement planifié est interrompu par une pluie torrentielle, ou quand le feu sur l’autel s’emballe ou s’éteint du fait d’une rafale de vent. Mais celui-là connaît aussi l’émerveillement de ces moments où les nuages s’écartent soudain pour révéler un coin de ciel clair, ou quand un animal sauvage surgit en plein milieu de l’espace sacré pour honorer la communauté de sa présence.
Dans ces moments, nous murmurons : Ouah ! – une prière frappée d’admiration. Quand nous sommes complètement investis dans un rituel, ces moments inattendus nous modèlent. Je crois que ce n’est pas un hasard si cultus, l’adoration, est le participe passé du verbe colère, cultiver. Non seulement nous nourrissons nos relations sacrées par le biais du rituel, mais ces relations nous nourrissent aussi. Lors d’un rituel, nous sommes en mouvement et sommes mis en mouvement. Nous retournons la terre afin de préparer l’âme à être ensemencée, et nous-mêmes sommes retournés et transformés. Nous connectons, et sommes connectés. Nous ouvrons, et sommes ouverts. Nous sommes présents de tout notre être, afin que notre être tout entier soit mis en leur présence.
Retrouvez les articles de Alison Leigh Lilly en anglais sur son site : http://alisonleighlilly.com
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