Je plonge en moi raconte Guillaume Nery
Posté par othoharmonie le 21 juillet 2015
En s’enfonçant dans l’océan, celui qui rêvait de devenir astronaute regarde loin en lui. La pression et le froid le repoussent dans les confins de son corps, à l’écoute de microsensations : l’écoulement de l’eau sur son visage, l’écrasement de sa cage thoracique, les pulsations ralenties de son cœur. Il a dissous ses peurs dans l’océan pour vivre une symbiose avec l’élément.
Vivre, respirer à 200 % !
Cela fait des années qu’il modèle son corps pour la mer. « Jusqu’à 22 ans, je plongeais cinq fois par semaine en mer, avec deux entraînements profonds, toute l’année. J’ai ainsi façonné mon corps au milieu marin et à la profondeur. » Homme-dauphin ? La transformation est bien physique, organique, cellulaire. L’entraînement et la répétition des plongées ont accentué le réflexe d’immersion : dès sa mise à l’eau, son rythme cardiaque ralentit très vite et son sang se concentre instantanément dans les organes vitaux. Un réflexe qui réduit les besoins en oxygène et potentialise les apnées. Mais la profondeur impose d’autres adaptations. Comment les poumons endurent-ils la pression ? L’écrasement de la cage thoracique étant limité, après les 40 premiers mètres se produit une érection pulmonaire : la paroi des poumons se gorge de sang et s’épaissit. En plongeant régulièrement en profondeur, les tissus deviennent plus réactifs et élastiques. « Je n’ai jamais craché de sang, ce qui est pourtant assez fréquent en plongée profonde. Peut-être parce que j’ai commencé très jeune. » Il faut aussi que les oreilles supportent le milieu hyperbare. « Pour compenser, je soulève le faux palais, comme lors d’un bâillement, pendant toute la plongée. » Là encore, Guillaume a une prédisposition rare. Le perfectionnement de ses dons rend le voyage possible.
Un voyage dans les profondeurs de soi, une échappée dans un autre monde qui se mesure en chiffres. En novembre dernier, Guillaume a atteint 123 mètres dans le Blue Hole des Bahamas, à trois mètres du Russe Alexey Molchanov qui a décroché la plaquette à 126 mètres. « Passer les 120 mètres, c’est une frontière psychologique. Le chiffre intimide, cela fait des années que j’y pense. Mais je ne pars pas pour ça. Ma quête est de plonger dans la maîtrise totale de ce que je fais, dans le respect absolu de mon corps, pour le plaisir avant tout. »
Aller au fond intérieurement”
Dans cette quête hédoniste de l’extrême, Guillaume Néry plonge d’abord mentalement. Il rejoue sa performance des dizaines de fois avant de la réaliser sous l’eau. « Je dois déjà être allé au fond intérieurement. Seconde par seconde, mètre après mètre, je visualise ma plongée. Après une séance de yoga, je mets mon pince-nez et réalise toutes les étapes-clés de mon apnée. Lorsque je plonge en mer, je n’envoie que mon corps physique. Mon mental sait déjà ce qui va se passer. »
Le temps de la descente est millimétré. Une séquence de 1 minute 55 secondes pendant laquelle se jouent les phases les plus techniques de sa plongée. Les secondes, les mouvements, les mètres sont comptés. Au cours de la remontée, en revanche, le temps se comprime et se fait volatile : 1 minute 35 secondes d’efforts physiques intenses qui semble pourtant très courte à Guillaume. La narcose entre en jeu. L’excès d’azote dans le sang agit sur le système nerveux. Les pensées sont très saccadées, les échanges physiologiques s’accélèrent. « J’ai peu à peu apprivoisé ces ivresses desprofondeurs qui sont plus ou moins agréables. » Lâcher prise s’impose : « Il faut juste garder un brin de conscience et laisser filer les pensées. » Sa compagne, Julie Gautier, vient de mettre en scène ce phénomène dans un court-métrage étonnant, « Narcose », en cours de finalisation. On y suit Guillaume lors de sa remontée d’une plongée profonde, en proie à des hallucinations. La première inspiration est une libération. Surgissant du monde du silence, de l’obscurité, de la solitude, il fait irruption dans la lumière, l’air, le son, la chaleur et la présence du monde. C’est une forme de naissance. Faire l’expérience du grand bleu, c’est revenir de là où personne ne va. Renaître à soi et aux autres, encore et encore. Vivre mille vies.
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