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Je suis p.94 à 99
Extrait de “JE SUIS” – CHAPITRE 23 – page 94 à 99
Maharaj : Il pleut fort, vous êtes tout trempé. Dans mon monde, il fait toujours un temps radieux. Il n’y a ni nuit ni jour, ni chaleur ni froid. Là, aucun tracas ni regret ne m’assaille. Mon mental est libéré des pensées car il n’y a pas de désirs pour me rendre esclave.
Question : Y a-t-il deux mondes ?
Maharaj : C’est à vous que votre monde apparaît. Pour moi il n’y a qu’un monde. Vous pouvez me raconter ce que vous voulez de votre monde, je vous écouterai attentivement, avec intérêt même, cependant à aucun moment je n’oublierai que votre monde n’existe pas, que vous rêvez.
Question : Qu’est-ce qui distingue votre monde du mien ?
M : Mon monde n’a aucune caractéristique qui permette de l’identifier. On ne peut rien dire à son sujet. Je suis mon monde. Mon monde est moi-même. Il est complet et parfait. Toute impression est gommée, toute expérience rejetée. Je n’ai besoin de rien, pas même de moi car je ne peux pas me perdre.
Question : Pas même de Dieu ?
M : Toutes ces opinions et discriminations existent dans votre monde ; dans le mien il n’existe rien de tel. Mon monde est unique et très simple.
Q : Rien n’y arrive ?
M : Dans votre monde, tout ce qui arrive a une valeur et appelle une réponse. Dans mon monde, rien n’arrive.
Q : Le fait même que vous ressentiez votre monde implique la dualité inhérente à toute expérience.
M : Verbalement, oui. Mais vos paroles ne m’atteignent pas. Mon de est non-verbal. Dans le vôtre ce qui n’est pas dit n’a pas d’existence. Dans le mien, les mots et leur contenu n’ont pas d’existence. Dans le vôtre, rien ne demeure, dans le mien rien ne change. Mon monde est réel alors que le vôtre est fait de rêves.
Q : Cependant nous parlons.
M : Le discours est dans votre monde. Dans le mien il y a l’éternel silence. Mon silence chante, mon vide est plein, je ne manque de rien. Vous ne pourrez connaître mon monde tant que vous n’y serez pas.
Q : On dirait que vous seul êtes dans votre monde.
M : Comment pouvez-vous dire seul ou pas seul quand les mots ne conviennent pas ? Bien sûr, je suis seul puisque je suis tout.
Q : Vous arrive-t-il de venir dans notre monde ?
M : Que signifie pour moi venir ou aller ? Ce sont encore des mots. Je suis. D’où puis-je venir, et pour aller où ?
Q : Quel est pour moi l’utilité de votre monde ?
M : Vous devriez considérer de plus près votre propre monde, l’examiner de manière critique, et soudainement, un jour, vous vous trouverez dans le mien.
Q : Qu’y gagnerai-je ?
M : Vous ne gagnerez rien. Vous laisserez derrière vous ce qui ne vous appartient pas et vous trouverez ce que vous n’avez jamais perdu, votre être propre.
Q : Qui gouverne votre monde ?
M : Il n’y a ici ni gouvernant ni gouverné. Il n’y a aucune dualité. Vous ne faites là que projeter vos opinions. Ici vos écritures et vos Dieux n’ont aucun sens.
Q : Vous avez cependant un nom et une forme, vous faites preuve de conscience et d’activité.
M : J’apparais ainsi dans votre monde. Dans le mien je suis. Rien d’autre. Vous, vous êtes riche de vos idées de possession, de quantité et de qualité. Je suis entièrement sans idées.
Q : Dans mon monde il y a le trouble, la détresse et le désespoir. Vous paraissez vivre de quelque revenu caché alors que je dois travailler comme un esclave pour vivre.
M : Faites ce qu’il vous plaît. Vous êtes libre de quitter votre monde pour le mien.
Q : Comment fait-on la traversée ?
M : Voyez votre monde tel qu’il est, non comme vous l’imaginez. La discrimination vous conduira au détachement ; l’action juste construira le pont qui vous mènera à votre être réel. L’action est une preuve de sérieux. Faites ce qu’on vous dit avec diligence et foi et tous les obstacles s’évanouiront.
Q : Etes-vous heureux ?
M : Dans votre monde je serais des plus misérables. Se lever, manger, parler, dormir à nouveau, quel ennui !
Q : Ainsi, vous ne désirez même pas vivre ?
M : Vivre, mourir, quels mots sans signification ! Alors que vous me voyez vivre, je suis mort. Quand vous me croyez mort, je suis vivant. Dans quelle confusion êtes-vous !
Q : A quel point êtes-vous indifférent ? Toutes les misères du monde ne sont-elles rien pour vous ?
M : Je suis parfaitement conscient de vos ennuis.
Q : Que faites-vous pour eux ?
M : Je n’ai rien à faire. Ils ne font qu’aller et venir.
Q : S’en vont-ils par le fait-même que vous leur prêtez attention ?
M : Oui. La difficultés peut être physique, émotionnelle ou mentale, elle est toujours individuelle. Les calamités à grande échelle sont la somme de destinées individuelles innombrables et elles prennent du temps pour s’installer. Mais la mort n’est jamais une calamité.
Q : Même quand un homme est tué ?
M : La calamité c’est le tueur.
Q : Là encore, il semble qu’il y ait deux mondes, le mien et le vôtre.
M : Le mien est réel, le vôtre procède du mental.
Q : Imaginez un rocher, un trou dans le rocher et une grenouille dans le trou. La grenouille peut passer sa vie dans un bonheur parfait, à l’abri de l’affolement et du trouble. Hors du rocher le monde va sa vie. Si on parlait à la grenouille du monde extérieur, elle dirait : « Cela n’existe pas. Mon monde est un monde de paix et de joie. Votre monde n’est qu’une structure verbale, il n’a pas d’existence ». C’est la même chose avec vous. Quand vous nous dites que notre monde n’existe tout simplement pas, il n’y a pas de base commune de discussion. Ou prenez un autre exemple. Je vais chez un médecin et je me plains de douleurs à l’estomac. Il m’examine et me dit : « Vous allez très bien ». « Mais dis-je, j’ai mal ». « Votre douleur est mentale », affirme-t-il. « Cela ne m’aide pas de savoir que ma douleur est mentale. Vous êtes un médecin, soignez mon mal. Si vous ne le pouvez pas, alors vous n’êtes pas un médecin. »
M : Très juste.
Q : Vous avez construit la voie, mais comme il n’y a pas de pont, aucun train ne peut passer. Construisez le point.
M : Il n’y a pas besoin de pont.
Q : Il faut bien qu’il ait un lien entre votre monde et le mien.
M : Il n’y a pas besoin de lien entre un monde réel et un monde imaginaire car il ne peut y en avoir.
Q : Que faisons-nous, alors ?
M : Examinez votre monde, appliquez-y votre mental, regardez-le d’un œil critique, disséquez toutes les opinions à son sujet ; cela fera l’affaire.
Q : Le monde est trop grand pour cette investigation. Tout c que je sais c’est que je suis, que le monde existe, que le monde me trouble et que je le trouble.
M : Je sais d’expérience que tout est félicité. Mais désirer la félicité engendre la souffrance. La félicité devient ainsi une graine de souffrance. L’univers entier de la souffrance est né du désir. Renoncez à désirer le plaisir et vous ne saurez même pas ce qu’est la souffrance.
Q : Pourquoi le plaisir serait-il une graine de souffrance ?
M : Parce qu’au nom du plaisir vous commettez de nombreux pêchés. Et les fruits du péché sont la souffrance et la mort.
Q : Vous dites que le monde ne nous est d’aucune utilité, que ce n’est qu’une tribulation. Je sens qu’il ne peut pas en être ainsi. Dieu n’est pas si fou. Le monde me semble être une vaste entreprise destinée à amener la potentialité dans le réel, la matière dans la vie, le non-conscient dans la Pure Conscience. Pour réaliser le Suprême nous avons besoin de l’expérience des contraires. De même que pour construire un temple il nous faut des pierres et du mortier, du bois et du fer, du verre et des tuiles, pour faire d’un homme un sage divin, un maître de la vie et de la mort, nous avons besoin des matériaux de toutes les expériences. De même qu’une femme va au marché, achète des provisions de toutes sortes, revient à la maison et fait la cuisine, puis nourrit son seigneur, nous nous rôtissons doucement au feu de la vie, puis nous nourrissons notre Dieu.
M : Très bien. Si c’est ce que vous pensez, faites-le. Nourrissez donc votre Dieu.
Q : Un enfant à l’école apprend bien des choses qui plus tard ne lui seront d’aucune utilité. Mais au cours de son éducation il se développe. Ainsi passons-nous au travers d’expériences innombrables et les oublions-nous toutes, mais pendant ce temps nous croissons sans cesse. Et qu’est-ce qu’un gnani sinon un homme qui a du génie pour la réalité ! Ce monde, qui est le mien, ne peut pas être un accident. Il a un sens, il doit y avoir un plan derrière. Mon dieu a un plan
M : Si le monde est faux, alors le plan et son créateur sont également faux.
Q : Vous niez encore le monde. Il n’y a pas de pond entre nous.
M : Il n’est pas besoin de pont. Votre erreur est de croire que vous êtes né. Vous n’êtes jamais né, et jamais vous ne mourrez, mais vous croyez être né à une certaine date, dans un certain lieu et qu’un corps particulier vous appartient.
Q : Le monde est. Je suis. Ce sont des faits.
M : Pourquoi vous occupez-vous du monde avant de vous occuper de vous ? Vous voulez sauver le monde, n’est-ce pas ? Pouvez-vous sauver le monde avant de vous sauvez vous-même ? Et que veut dire sauver ? Sauver de quoi ? De l’illusion. Le salut c’est de voir les choses telles qu’elles sont. Je ne vois vraiment pas de relation entre moi et quelque chose ou quelqu’un. Pas même à un soi, quel qu’il puisse être. Je demeure éternellement non-déterminé. Je suis dedans et au-delà, familier et inapprochable.
Q : Comment y êtes-vous parvenu ?
M : En faisant confiance à mon Guru. Il m’a dit : « Vous seul êtes », et je n’ai pas mis ses phrases en doute. Je n’ai fait qu’y réfléchir jusqu’à ce que je réalise que c’était absolument vrai.
Q : Conviction par la répétition ?
M : Par la réalisation du soi. Je découvris que j’étais absolument conscient et heureux et que ce n’était que par erreur que je pensais devoir l’ »être-conscience-béatitude » au corps et au monde des corps.
Q : Vous n’êtes pas un homme érudit. Vous n’avez pas beaucoup lu et ce que vous avez lu ou entendu ne se contredisait pas. J’ai beaucoup d’érudition, j’ai beaucoup lu et je trouve que mes professeurs et les livres se contredisant au-delà de tout espoir. C’est pourquoi je reçois tout ce que je lis et tout ce que j’entends dans un état de doute. Ma première réaction, c’est : « peut-être est-ce ainsi ou peut-être pas ». Et comme on esprit est incapable de faire la part de ce qui est vrai et de ce qui ne l’est pas, je reste perdu dans mes doutes. Un esprit sceptique a, dans le yoga, un immense désavantage.
M : Je suis heureux de vous l’entendre dire, car mon Guru m’a aussi enseigné le doute, à douter de toute chose et d’une manière absolue. Il m’a dit : « Niez l’existence à tout, sauf à vous-même ». Par le désir vous créez le monde avec ses souffrances et ses plaisirs.
Q : Soit-il être, en plus, pénible ?
M : Comment en serait-il autrement ? Le plaisir par sa nature même est limité et transitoire. De la souffrance est né le désir, dans la souffrance il cherche un assouvissement, et il finit dans les souffrances de la frustration et du désespoir. La souffrance est l’arrière-plan du plaisir, toute recherche du plaisir est née de la souffrance et se termine dans la souffrance.
Q : Tout ce que vous me dites, je le conçois bien. Mais que se produisent des troubles, physiques ou mentaux, et mon mental devient inerte et terne, ou cherche avec frénésie un soulagement.
M : Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est le mental qui est inerte ou agité, pas vous. Regardez, un tas de choses se produisent dans cette pièce. Est-ce moi qui les provoque ? Elles ne font qu’arriver. Ainsi en est-il de vous. Le rouleau de la destinée se déploie et actualise l’inévitable. Vous ne pouvez pas changer le cours des événements, mais vous pouvez changer votre attitude, et ce qui réellement importe c’est l’attitude, non l’événement. Le monde est la demeure du désir et de la peur. Vous ne pouvez y trouver la paix. Pour trouver la paix, il vous faut aller au-delà du monde. La cause première du monde, c’est l’amour de soi. A cause de lui, nous cherchons le plaisir et nous fuyons la souffrance. Remplacez l’amour de soi par l’amour du Soi et le tableau change. Le Créateur, est la somme de tous les désirs. Le monde est l’instrument de leur satisfaction. Les âmes prennent tout le plaisir qu’elles désirent et elles le paient en pleurs. Le temps équilibre tous les comptes. La loi de la balance est souveraine.
Q : Avant d’être un homme supérieur, il faut être un homme. La qualité d’homme est le fruit d’innombrables expériences. Le désir pousse aux expériences. Il en découle que dans le temps et à son niveau le désir est juste.
M : Dans un sens, tout cela est vrai. Mais il vient un jour où on a amassé suffisamment et où il faut commencer à construire. Il est absolument nécessaire de trier et de rejeter. Tout doit être examiné de près et ce qui est inutile doit être détruit sans pitié. Croyez-mois, il ne peut pas y avoir trop de destruction, car, en réalité, rien n’a de valeur. Soyez passionnément dépassionné, c’est tout.
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