Écoutez sans interpréter
Posté par othoharmonie le 30 décembre 2015
On attribue cette phrase à Lao-tseu : « Si j’étais Dieu, je donnerais à tous les mots le même sens. » Quand vous parlez, quand vous écoutez, il y a parfois mésentente sur leur signification. Vous qui enseignez par la parole, ne vous est-il pas difficile par moment de vous faire comprendre, à cause justement de la valeur différente que nous attribuons à ce qui est prononcé ? N’avez-vous pas quelquefois envie de renoncer à toute formulation ?
Bien sûr, nous ne devons pas donner trop d’importance à la syntaxe, aux mots, mais l’homme communique de cette façon, c’est un problème de tous les jours. Faut-il nous taire ou trouver une autre manière de communiquer plus précise, dans laquelle on ne pourrait relever de sens divergents ? En tout cas, dans l’enseignement qui vous est ici transmis, les mots sont seulement une image, écoutez-les sans les interpréter, afin de sentir ce qui est derrière, ce qui passe par leur intermédiaire. Laissez vivre la formulation sans intervenir, sinon, ce que l’on a entendu devient intellectuel, on cherche à s’en souvenir ; or, ces phrases sont déjà mortes, la mémoire est un cimetière.
Quand on vit sa véritable nature, cela se manifeste avant tout par le vécu d’une ultime suffisance. On se sait dans une tranquillité immuable, indescriptible, insensible aux mouvements de l’existence. Ce n’est même pas une absence de désir totale, on ne s’en sentirait pas atteint, c’est un vécu pleinement présent. Pour répondre à votre deuxième question, personne n’enseigne, il y a enseignement, c’est tout. Les événements arrivent fortuitement, semble-t-il, rien n’a été provoqué. On a l’impression que les choses se font sans que nous ayons participé à leur production. Les Allemands disaient pendant la guerre « Nous avons reculé selon le plan prévu. » De même, on peut dire : il y a enseignement, mais pas d’instructeur, pas d’ignorant et pas de savant. C’est alors une entrevue sans individu au rendez-vous, une autre façon d’aborder la vie. Puisque vous vous prenez pour rien, il ne peut être question d’un autre et sur un plan d’unité, d’amour, de paix, le contact s’établit. Bien entendu, par la suite, l’intelligence fonctionne, elle a ses exigences, mais au point de vue phénoménal, la relation en ce cas est complètement différente ; vous ne demandez, ne cherchez rien. Tout est donné et vous le savez.
C’est le paradis sur terre ?
Oui, si vous ne désirez plus quoi que ce soit, c’est un paradis.
La présence à soi-même est-elle ressentie de la même façon que la présence à quelqu’un d’autre ?
Vous êtes d’abord conscient de quelque chose lorsque rien ne s’interpose entre l’observateur et la chose observée. Vous allez vous rendre compte que vous êtes présence lucide, même en l’absence de l’objet, vous savez être clairvoyant, attentif, faire partie d’un infini qu’on ne peut concevoir, indiscernable, inexprimable, mais toujours présent ; vous le sentez sans le sentir.
En dernier lieu, quand vous êtes passé par là, vous vous savez autonome en présence ou en l’absence de l’objet et comme celui-ci naît et meurt dans le tout et en fait partie également, la relation avec l’autre est éliminée obligatoirement. Celui-ci étant une émanation, une prolongation de la conscience, vous êtes en unité.
Les rêves ne sont-ils qu’un processus d’évacuation des résidus de la journée ?
Une partie d’entre eux est une évacuation des éléments non accomplis, ajournés et surtout des rêveries. Le jour où l’état de veille est vécu d’une façon conséquente, vous n’avez plus de résidus à éliminer et vous êtes ouvert à un autre monde.
Oui, mais nous pouvons encore avoir des rêves avec une signification différente ?
Dans la majorité des cas, c’est une élimination de ce qui n’a pas été complètement vécu au cours de vos activités, mais si vous rêvez sur un autre plan, soyez prudent, ne l’interprétez pas avec les éléments de la journée.
Vous croyez être conscient des facultés de votre corps, de vos sensations, de vos affectivités, de vos pensées ; en réalité, vous en avez une idée très superficielle. Connaître c’est accepter car l’acceptation est déjà une distanciation, l’exploration n’est possible que dans ce cas. Mais attention, ne mettez pas l’intonation sur la chose admise, mais seulement sur le fait d’accueillir et regardez-vous ainsi lucidement, calmement. Vous êtes l’espace non meublé que vous ne pouvez localiser puisque ce n’est ni un percept, ni un percept, ni un concept. Il est important pour vous de vous accorder dans la journée des moments de silence, sans activité, sans pensée. Le geste juste, adéquat, s’il dérange, s’il surprend est issu lui aussi de ce vide lucide.
ce qu’on appelle la réalisation du Soi, de l’Ultime, de la Réalité ?
Comment la décrire ? C’est en quelque sorte une méditation constante qui n’est pas une fonction, une activité, nous ne pouvons pas la situer ici ou là. Vous devez uniquement prendre note, constater, faire face sans laisser intervenir jugement, interprétation, comparaison, sans que l’espace soit pollué par l’affect. Dans cette présence, la personnalité n’a pas sa place et peut seulement en être une expression parmi d’autres. On est ouverture soi-même, sans observateur et chose observée, sans relation sujet/objet. C’est une connaissance silencieuse qui est l’arrière-plan – si l’on peut dire, plutôt le point de départ – de tout ce qui se manifeste, sa raison d’être, le support de chaque apparition. Par une constante vigilance de chaque instant, position éminemment réceptive, nous sommes ouverts à nous-mêmes, attentifs aussi bien dans l’état de veille, de rêve ou de sommeil profond. Habituez-vous à une observation non concentrée, sans but, sans résultat escompté ; c’est une attention multidimensionnelle. Apparemment, elle semble d’abord une faculté cérébrale, mais en la maintenant, elle devient conscience, intelligence, nous sommes totalement accueillants, la vision, l’audition, la sensation ne cherchent plus à saisir et sont uniquement réceptives. En fait, notre vraie nature est réceptivité, acceptation, ouverture.
Ne changez pas la manière dont vous faites face à vos obligations journalières. Soyez alerte, lucide, attentif, ce que vous appelez activités sont des tableaux que vous dessinez d’une façon répétitive ; vous remarquerez les gestes que vous renouvelez machinalement et vous vous mettrez à l’écoute de vous-même. Votre observation vierge, innocente vous permettra de voir des choses que vous ignoriez auparavant et vous aurez un tout autre comportement. Seulement, ne modifiez surtout pas volontairement vos occupations habituelles, interrogez-les et cette écoute où personne ne peut s’introduire dans l’espace où elles s’exécutent, ne sera plus habitée par l’affect, vous éprouverez une sensation d’intensité, vous ne serez plus collé à l’action et un jour, vous serez dans l’écoute, sans projection d’aucune sorte. Là se trouve la joie de vivre, elle ne provient jamais de nos divers travaux, de ce que nous faisons ou ne faisons pas, mais de la façon dont nous abordons chaque chose.
Si vous regardez un paysage, un beau tableau, vous les contactez avec vos cinq sens, mais la véritable joie, le silence arrivent après la contemplation car la beauté vous met en relation avec cet espace libre de toute sonorité, de toute vision, le silence. Les œuvres d’art et les beautés de la nature sont surtout des poteaux indicateurs sur notre route. De même, la personne ou l’objet soi-disant cause de votre plaisir ne sont plus présents au moment où vous vivez en unité dans le Soi, l’Ultime.
Tout est sacré. Quand ce que vous regardez vous semble indépendant de votre conscience, c’est un art profane. Sinon, si vous considérez les objets en partant de votre présence, ce qui est émis par le Soi est sacré. C’est une expression de votre nature primordiale.
Quel est l’artisan qui exécute l’action ?
C’est le mental. Pour un architecte, le sens du volume, de l’extension est un surgissement instantané de la beauté, cela ne s’apprend pas. Pour écrire un poème, on doit savoir aimer les mots, mais l’action se passe toujours dans l’espace/temps et les règles de fabrication doivent être connues.
Pour conclure, n’oubliez pas ce conseil : sachez regarder, vous vous apercevrez dans le regard même, ce miroir reflète la joie véritable, l’amour, la paix.
Entretien/Interview, Klein Jean paru sur la Revue Être. No 4. 14e année. 1986
Publié dans APPRENDS-MOI, Etat d'être, Expériences | Pas de Commentaire »